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Dialogues de bêtes, La Paix chez les bêtes, La Chatte

Des animaux chez Colette
Portrait de Colette assise au balcon, un chat dans les bras
Portrait de Colette assise au balcon, un chat dans les bras

Bibliothèque nationale de France

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Les bêtes tiennent une grande place dans la vie de Colette comme en témoignent les nombreuses photos où elle pose avec ses animaux. Si ceux-là apparaissent dès Claudine à l’école avec la chatte Fanchette, leur place évolue selon les œuvres et au fil du temps : tantôt ils dialoguent fictivement, tantôt ils sont décrits sous la forme de vignettes naturalistes, et parfois, comme dans La Chatte, ils occupent la place d’un personnage central, dans un roman d’une perfection glaçante.

Dialogues de bêtes, lorsque les animaux se parlent

Première œuvre signée sous le nom de Colette Willy, les Dialogues de bêtes ont donné lieu à trois publications chaque fois enrichies, passant de quatre dialogues en 1904, à sept en 1905 et douze en 1930. Ces livres ont permis à Colette de se faire peu à peu connaitre du grand public mais aussi du monde littéraire, puisqu’elle dédicace son œuvre à l’influente Rachilde et en offre des exemplaires à Marcel Proust ou Anna de Noailles.

L’œuvre prend la forme d’un texte de théâtre, précédé par la présentation malicieuse de quatre personnages.

  • Kiki-la-Doucette, chat des Chartreux 

  • Toby-Chien, bull bringé
  • Lui, Elle, seigneurs de moindre importance.

Se succèdent ensuite des saynètes de théâtre précédées d’un titre et de didascalies situant chacun des dialogues dans des lieux et des moments différents. Le chien et la chatte anthropomorphisés prennent la parole sur un perron au soleil, dans un train, devant un feu… pour commenter les actions des « Deux-Pattes », principalement celles de leur maitre et maitresse. Toby et Kiki évoquent leurs relations à chacun, leurs manières d’agir, et Colette donne donc la parole à des animaux qu’elle a beaucoup observés et auxquels elle prête pensées et sentiments.

Mes impressions de chatte, texte de Colette paru dans Fantasio
Mes impressions de chatte, texte de Colette paru dans Fantasio |

Bibliothèque nationale de France

Loin de considérer l’animal comme une machine à la manière d’un Descartes, elle rêve à ce que les scientifiques nomment aujourd’hui la sentience animale, qui regroupe différents stades émotionnels comme la sensibilité, les émotions et la conscience. Si la forme du dialogue par lequel les deux animaux communiquent peut déconcerter, Colette se fait l’interprète de ses bêtes préférées, y ajoute des disputes de couple s’entendant comme chien et chat et se sert encore d’eux pour délivrer, en creux, son autoportrait, par exemple dans le dialogue « Music-hall » ou « Toby-chien parle ». Dans ces deux textes repris dans Les Vrilles de la vigne, le bull rapporte les paroles de sa maitresse, maudissant les « tortues » du mari.

La Paix chez les bêtes, à propos d’animaux et de leurs liens avec les humains

Il s’agit là encore d’un recueil de trente-trois textes parus dans diverses revues et rassemblés par Colette pour être publié en 1916, au milieu de la première guerre mondiale. L’avertissement qui les précède donne à lire l’intention de la femme de lettres : « J’ai rassemblé des bêtes dans ce livre, comme dans un enclos où je veux qu’ "il n’y ait pas la guerre" ». Elle dédie ce livre « à n’importe quel soldat inconnu que le printemps pourra revoir, sanguinaire, doux et rêveur comme le Premier Homme de la planète, étendu au long de sa bonne arme, une verte brindille aux dents, avec une couleuvre enroulée au poignet et un louveteau docile contre ses talons. » Ces mots révèlent à la fois le patriotisme de Colette mais aussi les liens étroits et parfois ambivalents qui unissent, selon elle, humains et animaux.

Proche parfois des Histoires naturelles de Jules Renard parues en 1894, certains textes se présentent comme des vignettes naturalistes décrivant l’apparence ou le comportement de tel ou tel animal domestique ou sauvage : chat, chien, couleuvre, écureuil, hérisson, papillon…

Couverture des Histoires naturelles de Jules Renard
Couverture des Histoires naturelles de Jules Renard |

Bibliothèque nationale de France

Parfois c’est le lien homme animal qui prime, ainsi la truie cherchant des truffes et guidée par son maitre, le collectionneur de lépidoptères, le dresseur de chiens savants, Pavlov et ses expériences sur les animaux, l’artiste avaleur de poissons rouges qui les recrache ensuite sur scène… Mais le recueil contient également des scènes plus familières, d’ordre autobiographique : la chatte Nonoche que l’on retrouve dans Les Vrilles de la vigne, la fille de Colette Bel-Gazou et son chien Buck… À ces textes s’ajoutent encore des histoires qui touchent de plus loin les animaux, ce sont des « choses entendues  » que collecte la journaliste qu’est Colette. On trouve encore dans ce recueil très intéressant une fable, un conte merveilleux où une grande chatte blanche dont la toison offre force et courage à un Poilu dans les tranchées ainsi qu’une amorce de roman. En effet, dans « Le Naturaliste et la Chatte » Colette semble avoir la matière d’un livre qu’elle développera bien plus tard, La Chatte.

La Chatte, un roman où l’animal tient une place centrale

Au printemps 1933, lorsque Colette a soixante ans, elle fait paraître La Chatte dans l’hebdomadaire Marianne, puis en librairie. Il s’agit selon les mots de Colette d’un « petit roman » qui lui a demandé « des journées de travail ». En sept chapitres et environ cent-vingt pages, elle raconte l’histoire d’un jeune couple, formé par Camille, jeune fille de dix-neuf ans et Alain, qui en a vingt-quatre. Fiancés au début du livre, ils se connaissent depuis longtemps et leur mariage offre l’occasion d’unir deux familles d’industriels, « les Machines-à-laver-Malmert » et les « Amparat-de-la-soie » dans un mariage d’intérêt comme Colette en a souvent décrits.

L’univers de ce roman très ancré dans la modernité de l’époque détonne dans l'œuvre de Colette : le jeune couple conduit un roadster, boit dans des tasses en pyrex, fait construire une piscine et vit dans un studio triangulaire à trois terrasses au neuvième étage d’une résidence appelée le Quart-de-Brie.

Le jeune Alain a quitté à regret la maison maternelle de Neuilly dans laquelle vit Saha, « chatte dite des Chartreux, pure de race, petite et parfaite » avec qui il converse et à qui il propose d’« entr[er] tous deux dans les ordres ». Le mariage d’Alain et Camille est passé sous silence, le lecteur découvre un époux peu aimant au lendemain de la nuit de noces : il s’offusque de la nudité de sa femme à qui il trouve « le dos peuple », « un dos de femme de ménage ». Au fil des pages, le malaise ne cesse de croitre entre les époux, les partenaires se révèlent incapables de s’apprécier et de se comprendre. Camille reproche à son mari de ne penser qu’à Saha : cette chatte est l’un des personnages de ce curieux triangle amoureux.

Comme Saha dépérit sans lui, Alain l’emmène dans l’appartement conjugal. Le drame qui couvait conduit alors à un geste criminel. Alain mène l’enquête et le récit oscille entre roman policier et récit fantastique non sans poser des questions d’ordre moral. De Saha, Camille, Alain ou sa mère, quel personnage est le plus monstrueux, qui est le plus humain ? Dans cette œuvre caractérisée par une tension dramatique remarquable, Colette explore de manière magistrale les liens extrêmes qui peuvent exister entre les humains et entre l’animal et l’humain.

Provenance

Cet article a été conçu dans le cadre de l'exposition Les Mondes de Colette, présentée à la BnF du 23 septembre 2025 au 18 janvier 2026.

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