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Les manuscrits de Colette

Les cahiers des Claudines
Les cahiers des Claudines

Bibliothèque nationale de France

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Les photographies de Colette prises tout au long de sa vie, dans le cadre privé, pour la promotion de ses livres ou lorsqu’elle était artiste de music-hall, ont participé à la construction de sa notoriété. Mais c’est d’abord pour tout ce qu’elle a écrit, romans, récits, nouvelles, souvenirs, mais aussi articles de presse ou textes publicitaires, que Colette reste dans l’histoire littéraire comme l’un des écrivains les plus connus du 20e siècle. Que nous disent d’elle ses manuscrits ?

Comment ont été rassemblés les manuscrits de Colette ?

Comme Colette n’accorde pas une grande importance à la conservation de ses manuscrits, elle n’en garde pas des versions bien ordonnées. Aussi lorsque Maurice Goudeket, son troisième mari, entreprend de les rassembler, il lui faut d’abord les reconstituer. Les volumes agrègent ainsi fragments manuscrits et dactylographiés correspondant à différents moments de l’écriture des textes. Et lorsqu’il manque encore des feuillets pour composer un manuscrit complet, Maurice Goudeket demande à Colette de réécrire les passages manquants. Les changements dans la couleur bleue du papier utilisé ainsi que les variations de l’écriture attestent cette composition à partir d’éléments de différentes époques.

Plats de reliure du manuscrit autographe de L'Envers du music-hall
Plats de reliure du manuscrit autographe de L'Envers du music-hall

Une fois ces feuillets réunis, Maurice Goudeket prend le soin de faire relier les volumes. Bibliophile averti, il passe commande auprès de quelques relieurs d’art renommés. Quelques-unes de ces reliures ont une dimension symbolique forte en ce qu’elles incarnent des moments importants de la vie de Colette : L’Envers du music-hall (1913) présente deux photographies de Colette posant pour le studio Reutlinger sur un mouvement de danse ; les fleurs de son herbier ont servi pour le manuscrit de Pour un herbier (1948) ; et, plus émouvant encore, le manuscrit de Sido (1929), l’œuvre qui porte pour titre le nom de la mère de Colette, est couvert d’un morceau de la robe de cette dernière.

Manuscrit autographe de Sido relié dans une robe de Sido en toile bleue brodée d'épis blancs
Manuscrit autographe de Sido relié dans une robe de Sido en toile bleue brodée d'épis blancs |

Bibliothèque nationale de France

Les manuscrits conservés à la Bibliothèque nationale de France

Héritier des biens de Colette, Maurice Goudeket offre en février 1963 à la Bibliothèque nationale les cahiers de Claudine en ménage (1902), de Claudine s’en va (1903) et de La Retraite sentimentale (1907). C’est seulement après son propre décès en 1977 que d’autres manuscrits entrent dans les collections de la Bibliothèque, par acquisitions et dons successifs. Sanda Goudeket, sa seconde épouse, procéda le 28 octobre 1977 à une vente aux enchères durant laquelle la Bibliothèque put acquérir cinq manuscrits : Le Blé en herbe (1923), La Seconde (1929), Journal à rebours (1941), Gigi  (1944) et Pour un herbier. Deux mois plus tard sont acquis la dactylographie et les placards corrigés de Mes Apprentissages (1936), puis en 1979 vingt-six volumes reliés d’œuvres et de lettres de Colette, accompagnés de quarante-sept dossiers contenant des reliquats de manuscrits et des lots de lettres. Des dons et acquisitions ponctuelles viennent ensuite au fil du temps apporter des compléments à ce riche ensemble : outre des correspondances, des manuscrits d’articles, des dactylographies corrigées dont celle des Causeries radiophoniques et des esquisses ou fragments de manuscrits, on peut signaler dans ces compléments l’entrée en 1992 du « Double », première version de La Seconde ; en 1996, des manuscrits des adaptations théâtrales de Chéri, La Vagabonde et La Seconde ; en 1999, du manuscrit de Mes Apprentissages qui vient compléter les fragments de brouillons et la dactylographie corrigée précédemment acquis. La dernière acquisition remonte à 2015 avec l’achat de deux correspondances, les lettres échangées avec Maurice Goudeket et avec Germaine Patat.

De quelques manuscrits disparus

On constatera que manquent à l’appel dans cet ensemble les manuscrits des deux premiers volumes des Claudine, Claudine à l’école (1900) et Claudine à Paris (1901). D’après les informations parvenues jusqu’à nous, ils ont été détruits par Paul Barlet, le secrétaire du premier mari de Colette, Willy, à la demande de ce dernier. Paul Barlet conserve heureusement les cahiers des deux derniers volumes des Claudine, ceux entrés à la Bibliothèque en 1963. Colette se met à rédiger Claudine à l’école parce que Willy lui demande d’écrire ses souvenirs d’enfance. Willy est alors à la tête d’un « atelier », entreprise de production en série de romans légers, dans lequel plusieurs écrivains rédigent les textes qu’il signe. Il signe donc aussi les Claudine. Or, les cahiers manuscrits sont la preuve par l’archive que Colette en est bien l’autrice et que Willy est très peu intervenu pour corriger ou modifier le texte.

Que racontent les manuscrits du rapport de Colette à l’écriture ?

Les volumes reconstitués par Maurice Goudeket, à la différence des cahiers comme ceux des Claudine, n’ont pas, on l’a vu, le statut de brouillon d’écrivain permettant de remonter à la genèse de l’œuvre. Cette particularité est aussi liée à la façon de travailler de Colette. Elle dit à plusieurs occasions qu’elle n’a pas à l’origine la vocation d’écrivaine et qu’écrire est pour elle assez souvent davantage un pensum qu’un plaisir : au temps passé devant la page, elle préfère les promenades dans la nature. N’ayant pas ressenti cette vocation, elle n’a pas non plus conçu une méthode de travail, et n’en développe jamais. Comme elle le rappelle dans L’Étoile Vesper (1946), ses manuscrits ne rassemblent donc ni versions préparatoires ni documents de travail : « Parmi mes notes… Quelles notes ? Derrière moi on n’en trouvera pas une. […] Pas une note, pas un carnet, pas le moindre petit grimoire de repères. Par où sont donc venus mes héros sans empreintes ? » Si Colette écrit au fil de l’inspiration, faisant évoluer ses personnages et les situations au rythme de l’écriture, elle s’y reprend par ailleurs à plusieurs reprises. Mais au lieu de conserver les versions successives, elle les jette, parfois déchirées en plusieurs morceaux : « L’agencement de ses romans, leur déroulement lui donnaient beaucoup de peine : elle recommençait plus qu’elle ne corrigeait, plutôt par pages que par grands fragments. », écrit Maurice Goudeket dans Près de Colette (Flammarion, 1956).

Manuscrit des Vrilles de la vigne
Manuscrit des Vrilles de la vigne |

Bibliothèque nationale de France

Quelques rares manuscrits nous permettent cependant de remonter aux premiers moments de la conception de ses œuvres, par exemple la première version de La Seconde intitulée le « Double » ou les feuillets d’ébauche de L’Entrave et de La Naissance du jour. Parmi les corrections notoires de Colette repérées sur ses manuscrits et témoignant du processus d’écriture, la plus célèbre, parce que symboliquement très forte, est celle que l’on trouve au début du texte « Le Miroir » publié dans Les Vrilles de la vigne. Dans ce texte publié en 1908, elle revient sur sa relation au personnage de Claudine auquel elle est systématiquement identifiée depuis la publication de la série de quatre volumes entre 1900 et 1903, Colette écrit : « Vous êtes Claudine, et je ne suis que Colette » avant de barrer la négation pour retenir la formule « et je suis Colette ». La phrase, ainsi modifiée, nous fait entrer très directement dans le processus de construction de l’écrivaine Colette, qui s’émancipa progressivement du personnage qui lui collait à la peau, Claudine, et de celui qui avait occulté son nom sous sa propre signature, Willy.

Provenance

Cet article a été conçu dans le cadre de l'exposition Les Mondes de Colette, présentée à la BnF du 23 septembre 2025 au 18 janvier 2026.

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