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Les jardins de Colette

La Treille muscate
La Treille muscate

© ADAGP/BnF

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Le jardin occupe une place toute particulière dans l’œuvre de Colette. Il est un lieu de solitude, d’apaisement mais aussi une source d’inspiration intarissable. Il existe un lien puissant entre la  vie et l’œuvre de l’écrivaine et cet espace.
 

Les jardins de l’enfance

Dans La Maison de Claudine, Colette se remémore son enfance passée à rêver dans les jardins, avant que la ruine familiale ne l’oblige à les quitter. C’est là que la petite fille peut donner libre-cours à son imagination. Elle s’y rêve en marin, voguant sur un « vaisseau debout sur une crête de vague » et vers « l’île d’or et de fruits lumineux ». Elle songe à la vie d’adulte, libérée des limites imposées par sa famille, son jardin, son village … Des noyers, des frênes, et des chats endormis sur le pavé figurent le décor du jardin où la jeune Gabrielle passe ses après-midis. Au sein de la maison familiale, la petite fille se sent protégée par la présence rassurante de sa mère, Sido. Au-delà de cet environnement, le danger et la solitude la guettent. Le jardin au centre de l’imaginaire de la petite fille, deviendra plus tard un lieu de création littéraire pour l’autrice.

La maison de Colette à Saint-Sauveur-en-Puisaye
La maison de Colette à Saint-Sauveur-en-Puisaye |

Bibliothèque nationale de France

L’arrachement

À 17 ans, la jeune fille est brutalement arrachée à cette maison et à son jardin. La famille est endettée, et la rumeur de leur départ se répand peu à peu. Les marchands et fournisseurs viennent successivement à leur porte pour réclamer leur payement. Les biens de la famille sont finalement vendus aux enchères le 15 juin 1890. Les Colette quittent Saint-Sauveur-en-Puisaye en 1891, pour s’installer dans le Loiret. La nouvelle maison de Châtillon-sur-Loing ne leur offre pas un très grand confort. Gabrielle devra se reconstituer un nouveau havre de paix, privée du refuge que représentait pour elle le jardin. On tente de pallier la douleur de la perte de la maison familiale, comme en témoignent des photos de la jeune Gabrielle déguisée et posant devant la nouvelle demeure.

Sido s’efforce de reconstituer le paradis perdu du jardin. On fait pousser une vigne au fond de la cour intérieure, et on replace ses reposoirs de plantes en pots, derniers vestiges de ce lieu de bonheur et d’insouciance. Dans ces pots, une variété d’espèces redonne vie à l’allée monotone bordée de deux bandes de gazon : « géraniums rares, rosiers nains, reines-des-prés aux panaches de brume blanche et rose, quelques "plantes grasses" poilues et trapues comme des crabes, des cactus meurtriers »

Jardins parisiens

Une fois mariés, Willy et Colette s’installent rue Jacob. Pas plus de jardin dans cet appartement parisien. Les quelques arbres qu’elle aperçoit depuis sa fenêtre supportent mal la comparaison avec les « bois profonds et envahisseurs qui moutonnaient et ondulaient jusque là-bas, aussi loin qu’on peut voir » autour du village natal. Si Paris ne manque pas de parcs et de jardins publics, ceux-ci sont très rarement dépeints par l’autrice, qui se retrouve davantage dans la nature vierge du bois de Boulogne. Le jardin du Palais-Royal, situé non loin de son appartement, la ramène à ce lieu de création et d’inspiration que figuraient pour elles les jardins de l’enfance.

Jardin du Palais Royal
Jardin du Palais Royal |

Bibliothèque nationale de France

Les jardins de Colette

Entre 1900 et 1905, Colette occupe le domaine des Monts-Bouccons, non loin de Besançon. Perchée dans les hauteurs, « sur l’épaule ronde d’une petite montagne crépue de chênes bas » et sur une « colline pierreuse, chaude, creusée d’une combe », la demeure ramène l’autrice au calme et à la solitude. Tout autour, un jardin à la végétation foisonnante, et un parc de plusieurs hectares, où prospèrent les ormes, acacias, mélèzes, tilleuls, poiriers, pommiers et cerisiers. Le domaine constitue pour Colette un véritable refuge, et elle y jouit d’une « solitude pareille à celle des bergers ». Occupée à l’entretien du jardin, elle peut retrouver la sérénité et l’innocence de son enfance.

Entre 1910 et 1926, Colette passe tous ses étés près de Saint-Malo, dans le manoir de Rozven. La bâtisse de granit noir est bordée de neuf hectares de terrain, où s’épanouit une végétation luxuriante. D’un côté, elle s’ouvre sur le large de l’océan, de l’autre, elle est bordée par un bois dense. De toute part, une vue imprenable sur la forêt mystérieuse ou sur l’horizon s’étendant à l’infini. Au cœur du domaine, un potager et un verger où coule une source, et où poussent primevères, violettes et mimosas. Sur la plage, les « trésors » de la marée s’offrent à Colette : « du corail mauve, des coquilles polies, et parfois des tonneaux d’huile de baleine et de benzine, venus de lointains naufrages ».

La Treille muscate
La Treille muscate |

© ADAGP/BnF

En juillet 1926, Colette quitte la côte armoricaine pour s’installer en Provence, dans une villa couverte de vignes, qu’elle baptise bientôt « La Treille muscate ». Un puits, un verger provençal où sont semés tomates et poivrons, une glycine embaumante, et un imposant mimosa, composent le décor de ce jardin enfin voulu et conçu par Colette. Ce mas provençal situé face à la baie des Canebiers est bordé d’un sentier conduisant à la mer. Ici, Colette ne craint plus « d’accoster le roc feuilleté, l’aiguille bifide, l’agave, l’écharde des oursins, l’amer ciste poisseux et le figuier dont chaque feuille au revers est une langue de fauve. »

D’autres jardins accompagneront ses vagabondages : le parc du château de Castel-Novel, propriété de son deuxième mari, Henry de Jouvenel, dont elle célèbre les roses, le jardin près de la forêt de sa maison de Méré, près de Montfort-l’Amaury. Jardins prêtés, jardins possédés, jardins durables ou éphémères… Aux Monts-Bouccons, tout la ramène à ses premiers souvenirs. Depuis le jardin, elle peut porter son regard vers l’horizon, et le reste du monde, plongée dans une solitude absolue. La végétation luxuriante qui y prolifère exalte ses sens, et lui rappelle la sérénité du jardin de Sido.

Colette chercher à recréer le paradis perdu de la maison d’enfance : le jardin clos, protégé du reste du monde, mais depuis lequel on aperçoit la campagne environnante ; le jardin luxuriant qui contente tous les sens, qui plaît et nourrit ; le jardin où retrouver un état indicible de communion avec tout ce qui veut vivre.

Les derniers jours

Colette passe ses dernières années dans son appartement parisien, rue Beaujolais, dont les fenêtres donnent sur les jardins et les arcades du Palais-Royal. Désormais âgée de plus de quatre-vingt ans, elle est immobilisée par l’arthrose. Arrimée à son lit-radeau, elle contemple depuis sa fenêtre le jardin en contrebas et emprunte les chemins de la mémoire pour revisiter les jardins de sa vie. Les jardins ne se présentent plus qu’à sa fenêtre. Elle s’y promène encore par la pensée.

« Par ces nuits discrètes, une femme insomnieuse peut se tenir ignorée à sa fenêtre, humer Paris et son silence, attendre que reviennent, chargées de commenter un songe d’enfance, de paix, de campagne, les rumeurs bien réelles d’un matin au Palais-Royal : le râteau, les feuilles bruissantes, le liquide roucoulement des pigeons ». (Manuscrit posthume du chapitre « La Citoyenne du Palais-Royal » publié dans Paris, je t’aime !)

Elle passe des nuits à attendre le lever du jour, qu’elle pourra guetter depuis sa fenêtre. La rosée et le brouillard viendront bientôt annoncer la venue du matin.

Je pars, je m’élance sur un chemin autrefois familier, à la vitesse de mon ancien pas ; je vise le gros chêne difforme, la ferme pauvre où le cidre et le beurre m’étaient généreusement mesurés.

L'Étoile Vesper, 1946

Provenance

Cet article a été conçu dans le cadre de l'exposition Les Mondes de Colette, présentée à la BnF du 23 septembre 2025 au 18 janvier 2026.

Adaptation d'un texte de Frédéric Maget, directeur de la Société des amis de Colette, directeur de sa maison natale à Saint-Sauveur.

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