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Aux sources des Contes de Perrault

« Il marcha vers le château qu’il voyait au bout d’une grande avenue où il entra. »
« Il marcha vers le château qu’il voyait au bout d’une grande avenue où il entra. »

© Bibliothèque nationale de France

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Les Contes de Perrault, qui comptent parmi les ouvrages les plus célèbres de la littérature française, puisent à des sources multiples. Inspirés aussi bien de récits populaires transmis par l’oralité que de modèles littéraires français et italiens, ils témoignent d’un travail d’adaptation inédit à leur époque. À la fois héritiers d’une tradition ancienne et fondateurs d’un genre nouveau, ces récits illustrent le passage du conte populaire à la grande littérature.

La littérature de colportage

« J'ai des livres, j'ai des histoires. », crie le colporteur. Au 16e siècle, les marchands ambulants commencent à adjoindre à leurs articles habituels des livres bon marché, de petit format, grossièrement imprimés sur papier de mauvaise qualité, parfois enrichis de gravures sur bois. Ils sont présentés sous une couverture de papier bleu, d'où leur surnom de « Bibliothèque bleue ». 

Cette littérature de colportage rassemble deux catégories d’ouvrages : d'une part des livres de piété et didactiques (almanachs, guides de médecine et d’agriculture), d'autre part des livres de divertissement (chansons, romans sentimentaux, faits divers horrifiants ou légendes, puis recueils de contes à partir du 18e siècle).

La Belle Bible des cantiques de la naissance et des autres mysteres de Notre Seigneur
La Belle Bible des cantiques de la naissance et des autres mysteres de Notre Seigneur |

© Bibliothèque nationale de France

La Conqueste du grand Charlemagne roy de France & d'Espagne
La Conqueste du grand Charlemagne roy de France & d'Espagne
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Bibliothèque nationale de France

Les premiers acheteurs ont d’abord été des citadins — la petite et la moyenne bourgeoisie, mais le colportage s'est ensuite répandu dans toute la France. Les livres étaient troqués ou vendus aux personnes qui savaient lire comme le curé, le chef du village etc, puis étaient lus et regardés lors de veillées.

Perrault parle avec condescendance de cette littérature de colportage, mais il la connaît très bien et la pratique assidûment. Nous en avons la preuve avec Grisélidis qui est, comme Perrault l’explique lui-même, un livret de colportage élaboré et mis en vers. À son époque, ces petites brochures ne contiennent pas des contes proprement dits, mais à peu près toutes baignent dans une atmosphère d’enchantement et de magie.

Les sources orales 

D'autres sources des contes de Perrault sont à chercher dans la littérature orales.

Ce nombre infini de Pères, de Mères, de Grand’Mères, de Gouvernantes et de Grand’Amies qui depuis peut-être plus de mille ans y ont ajouté en enchérissant toujours les uns sur les autres beaucoup d’agréables circonstances.

Charles Perrault, 1697
 

Peau d’Âne, par exemple, est l’une des histoires les plus anciennement attestées dans la tradition française : Noël du Fail dans ses « Propos rustiques » (1547) parle du conte de Cuir d’asnette, Bonaventure des Périers dans ses Contes ou Nouvelles récréations et Joyeux Devis (1557) évoque l’histoire d’une jeune fille surnommée Peau d’Âne. Au 17e siècle, il est d'ailleurs si répandu que son titre sert couramment à désigner tout conte de fée.

« La jeune princesse, outrée d’une vive douleur, n’imagina rien autre chose que d’aller trouver la fée des Lilas, sa marraine. »
Peau d'Âne illustré par Gustave Doré |

© Bibliothèque nationale de France

Les sources italiennes

Mais ce sont surtout des auteurs italiens qui fournissent à Perrault ses sources littéraires les plus directes. 

En moins de cent ans, l’Italie a vu paraître deux recueils de contes d’inspiration populaire qui ont connu un très grand succès.

Straparola et ses Facétieuses nuits

Les Facétieuses nuits de Straparola
Les Facétieuses nuits de Straparola |

Bibliothèque nationale de France

Les facétieuses nuits de Gianfrancesco Straparola, publiées à Venise en 1550 et 1553, sont les premières transcriptions littéraires de contes populaires issus du folklore paysan vénitien, jusqu’alors exclusivement transmis oralement. 

À Murano, durant la période de carnaval, Lucretia Sforza désigne quotidiennement cinq jeunes filles chargées, chaque soir, de divertir sa cour en racontant une histoire et en la faisant suivre par une énigme. Cinq fables sont ainsi contées chaque nuit sauf durant la dernière où les treize membres de l’assemblée sont invités à intervenir. 

Traduites en français dès 1560, l'ouvrage rencontre un grand succès, comme le démontent ses onze éditions avant 1615. Par la suite, condamné par la censure ecclésiastique pour obscénité, le recueil cesse progressivement d'être publié, mais Perrault, né en 1628, en avait probablement connaissance.

Les contes de Basile

Lo cunto de li cunti est l'œuvre la plus célèbre de Giambattista Basile. Ce Conte des contes, généralement appelé le Pentamerone (c’est-à-dire « Les cinq journées » sur le modèle du Décameron de Boccace), se compose d’un récit-cadre de cinq journées dans lequel sont insérés cinquante contes de fées réunissant l’ensemble des ingrédients du merveilleux : princes et princesses, fées, ogres et magiciens, animaux parlants et objets magiques, désirs d’enfant, épreuves à surmonter et dénouements heureux. 

Basile n’est pas n’importe quel collecteur de contes en patois : c’est un grand seigneur lettré, Gian Alesio Abattutis, comte del Torone, et un des artistes les plus originaux de la littérature italienne. Un immense succès populaire a accueilli son Cunto de li Cunti, où se déploient verve et humour.

La Belle au Bois dormant s’apprêtant à se piquer à la quenouille
La Belle au bois dormant illustrée par Gustave Doré |

Bibliothèque nationale de France

L’influence de Basile sur Perrault est considérée comme probable mais récusée par certains. En effet, l’ouvrage de Basile, publié à Naples en 1634-1636, est écrit en patois napolitain, et n'a jamais fait l'objet d'une traduction intégrale en français. Perrault était-il en mesure de déchiffrer ce livre déjà difficile pour un autochtone ? Mais comment imaginer que l'auteur de l’Enéide burlesque, n’a pas fait un effort pour lire dans le texte ce chef d’œuvre du burlesque ? Avait-il d'ailleurs vraiment un effort à faire ? Au moins l’un de ses frères Pierre, le Receveur des Finances, dont Charles est précisément le commis, sait fort bien l’italien. Il traduit en 1678 un ouvrage de Tassoni, La Secchia rapita (Le Seau enlevé), comprenant des énoncés en différents dialectes italiens et indique dans l’avertissement qui précède la traduction une série de précisions sur les éditions successives de ce Seau enlevé, ce qui suppose une information très précise sur ce qui paraît en Italie, et sur ce qui y a du succès. Or Charles vit pendant plus de dix ans auprès de son frère qui l’a chargé plus spécialement de sa bibliothèque. On peut admettre sans invraisemblance que Pierre a fait lire à Charles ce livre qui, de surcroît, correspond à leur goût commun pour le burlesque.

Cette influence du Pentamerone est particulièrement sensible à certains détails dans la Belle au bois dormant : les enfants de la Belle s’appellent chez Basile le Soleil et la Lune, et Aurore et Jour dans le recueil français. Peau d’Âne suit aussi de très près l’Orsa. L’imitation de Basile, indéniable dans certains contes, reste malgré tout très libre. Perrault élague tout ce peut blesser la pudeur ou la bienséance et transpose en fonction de ses goûts mais aussi ceux de son public.

Les critères de sélection des contes

Sur les onze textes publiés, l’échantillonnage de Perrault est varié : contes de fées, contes volontiers facétieux qui mettent en scène non plus des demoiselles de bonne famille mais des héros résolument arrivistes prêts à tout pour faire fortune ou se tirer d’affaire, contes d’avertissement à intentions morales et pédagogiques. Comment son choix a-t-il été dicté ?

On peut penser légitimement que leurs thématiques correspondaient à des préoccupations, conscientes ou inconscientes, de l’auteur, surtout à une époque de sa vie qui semble avoir été particulièrement difficile du fait de sa disgrâce et des querelles et polémiques dans lesquelles il était embourbé. Marc Soriano, dans une démarche historique, puis proche de la psychanalyse, a cherché à éclairer les récits par la personnalité de Perrault. Ses conclusions l’amènent à dire que Perrault retient en priorité les contes où il retrouve « son équation personnelle ».

[Les gens de bon goût] ont été bien aises de remarquer que ces bagatelles n'étaient pas de pures bagatelles, qu'elle renfermaient une morale utile, et que le récit enjoué dont elles étaient enveloppées n'avait été choisi que pour les faire entrer plus agréablement dans l'esprit et d'une manière qui instruit et divertit tout ensemble.

Charles Perrault, Gridelidis nouvelle, Préface, 1694

On remarque en effet que ses personnages masculins sont extrêmement faibles. Ou bien ils sont d’une grande faiblesse psychologique et se laissent mener par leurs femmes (Les Souhaits ridicules, Cendrillon) ou leurs courtisans (Le Chat Botté), ou bien ils sont tout simplement absents : le Petit chaperon rouge, les Fées, la Barbe Bleue et Riquet à la houppe mettent en scène des familles sans père. Les deux seuls véritables héros masculins de Perrault, le Chat botté et le Petit Poucet, sont des personnages ludiques, sans vie personnelle, et qui font figure d’éternels adolescents.

« Au secours ! au secours ! voilà M. le marquis de Carabas qui se noie. »
Le Chat botté illustré par Gustave Doré |

Bibliothèque nationale de France

« En marchant il avait laissé tomber le long du chemin les petits cailloux blancs qu’il avait dans ses poches. »
Le Petit Poucet illustré par Gustave Doré |

© Bibliothèque nationale de France

Les thèmes qui concernent Perrault sont les relations entre parents et enfants, et entre frères et sœurs : des parents qui aiment trop peu leurs cadets ou trop leurs aînés (le Petit chaperon rouge, La Belle au Bois dormant, Peau d’Âne, les Fées, le Petit Poucet). L’irresponsabilité des parents entraîne pour les enfants les pires malheurs, dont le moindre est d’être chassé de la maison (Peau d’Âne, les Fées, le Petit Poucet) ou jeté dans les bras d’un monstre (le Petit chaperon rouge, la Barbe Bleue, le Petit Poucet). 

Marc Soriano remarque aussi que Perrault semble « sensibilisé » à ce personnage de cadet, brimé au départ et toujours triomphant à la fin, que l’on retrouve dans beaucoup de contes populaires. Perrault introduit le motif du cadet maltraité même dans des contes où il n’en fait pas partie traditionnellement. Ainsi dans le Petit Poucet, Perrault remplace les héros du conte traditionnel, un frère et une sœur, unis par l’affection et qui collaborent à leur évasion commune, par sept garçons qui prennent leur cadet chétif pour souffre-douleur. Perrault semble donc bien retenir les contes qui rejoignent par leurs thèmes ses hantises personnelles.

Provenance

Cet article provient du site Les Essentiels de la littérature (2015).

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