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Charles Perrault, au delà des contes

Charles Perrault
Charles Perrault

© GrandPalaisRmn / image GrandPalaisRmn

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Figure centrale du Grand Siècle, Charles Perrault ne fut pas seulement l’inventeur des contes de fées modernes. Homme de lettres, de pouvoir et de culture, il incarne l’esprit novateur du règne de Louis XIV et l'a marqué d'une empreinte durable.

Un fils de la bourgeoisie

Né à Paris en 1628, Charles Perrault est le cadet d'une famille de la bourgeoisie parlementaire parisienne, cultivée et d'orientation janséniste, donc « moderne » : elle est opposée, par exemple, à l'utilisation dans les collèges catholiques des classiques latins considérés comme païens et tient en horreur la superstition, méprisant les « contes de bonne femme ». 

Pendant la Fronde, Charles rime avec ses frères une Énéide Travestie sur le même ton satirique que les « Mazarinades » puis, dès la paix de Rueil (1648), il prend ses distances avec le burlesque populaire. Il achève des études de droit, s'initie aux affaires auprès de son frère Pierre qui est receveur général des finances de Paris, et il s'essaie dans la veine précieuse à la cour de Fouquet. 

L'homme de Colbert

Par la suite, Perrault devient pendant vingt ans l'homme de confiance de Colbert, plus spécialement préposé à l'encadrement et à la surveillance des intellectuels. À ce poste, il réorganise ou crée des académies, et inspire ou supervise avec son frère Claude « les bâtiments », en particulier à Paris avec la colonnade du Louvre, et à Versailles. 

Charles Perrault
Charles Perrault en 1672 |

© RMN-Grand Palais (Château de Versailles) / Droits réservés

Jean Baptiste Colbert
Jean-Baptiste Colbert |

Bibliothèque nationale de France

Élu à l’Académie française en 1671, Perrault en devient le chancelier un an plus tard et redéfinit le fonctionnement de l’assemblée. Il s’attache également à rationaliser et simplifier l'orthographe, et active le travail du Dictionnaire, qu'il conçoit comme le répertoire de la langue de l'administration et de l'art. Par conséquent, il en exclut à la fois les mots techniques et les expressions populaires, signalées comme familières, vulgaires ou triviales.

En 1683, à la mort de Colbert, il a déjà derrière lui toute une carrière de grand commis de l'État, ayant exercé pendant une vingtaine d'années un contrôle de tutelle sur les travaux de l'Académie, sur la production des œuvres littéraires et artistiques en l'honneur du roi et du règne, sur la construction et l'aménagement des « bâtiments », sur la répartition des aides royales, bref, le travail d'un actuel ministre de la Culture. 

Perrault du côté des Modernes

Écarté du pouvoir par le clan de Louvois et par ses deux ennemis personnels Racine et Boileau, historiographes du roi, il entreprend un long combat pour reconquérir ses fonctions et réactive la vieille lutte entre les Anciens et les Modernes. 

En 1687, il écrit un poème qu’il fait lire à l’Académie française : Le siècle de Louis le Grand où, convaincu notamment de la supériorité du christianisme sur le paganisme, il affirme que les auteurs contemporains sont supérieurs à ceux de l’Antiquité gréco-latine.

« La belle antiquité fut toujours vénérable ;
Mais je ne crus jamais qu’elle fût adorable.
Je vois les anciens, sans plier les genoux ;
Ils sont grands, il est vrai, mais hommes comme nous ;
Et l'on peut comparer sans crainte d'être injuste,
Le siècle de Louis au beau siècle d'Auguste.

Charles Perrault, Le Siècle de Louis Le Grand, 1687.

C’est le point de départ d’une nouvelle querelle entre les « Anciens », dont Boileau est le porte-parole, et les « Modernes », dont Perrault devient le chef de file.

Le burlesque, symbole d'une langue moderne

En  1649, Charles écrit, en collaboration avec deux de ses frères, un poème qui parodie l’épopée antique : Les murs de Troie ou l'origine du burlesque. Le vocabulaire scatologique, les proverbes, les comptines, les expressions typiquement populaires y foisonnent. Perrault est un grand théoricien de l’écriture burlesque qu’il considère comme une invention « moderne » : elle sert son combat.

Le Parallèle des Anciens et des Modernes

Parallèle des Anciens et des Modernes
Parallèle des Anciens et des Modernes |

Bibliothèque nationale de France

Parallèlement, il continue à essayer de faire triompher ses idées et mène sa réflexion sur la prééminence de son époque sur l’Antiquité. De 1688 à 1700, il publie les quatre volumes du Parallèle des Anciens et des Modernes, où Il plaide pour la supériorité de la création artistique, du seul fait même de sa nouveauté.

Dans le tome IV, Perrault compare Anciens et Modernes dans le secteur des sciences : il distingue l’astronomie de l’astrologie, s’appuie sur l’exemple de la géographie, mais aussi de la physique, de la philosophie, de la musique. Pour lui, les Modernes représentent le progrès : il suffit de comparer les sciences d’autrefois et celles d’aujourd’hui. Même progrès dans la pédagogie. Une éducation éclairée par le catholicisme est évidemment meilleure qu’une éducation païenne. C’est dans cette perspective pédagogique et moralisante que doit s’interpréter le projet de Perrault, lorsqu’il écrira ses contes tirés du répertoire populaire oral.

La disgrâce et cette bataille artistique lui redonnent, à cinquante-cinq ans, l'énergie du second souffle. Sans se renier – il continue à produire de grands poèmes religieux, ou chantant les armes du roi –, Perrault ouvre à sa manière le siècle nouveau en se faisant le chef de file des Modernes (1687-1694), et en donnant dignité et audience littéraires à un genre jusqu'alors oral et privé : le conte de fées. Ce sont ses Histoires ou Contes du temps passé (1697), parus initialement sous la signature de son fils, qui devaient faire sa fortune littéraire.

Les contes de fées

Un genre à la mode

Portrait de Mademoiselle L’Héritier
Marie-Jeanne L'héritier, nièce de Charles Perrault |

Bibliothèque nationale de France

À partir de 1685, les contes sont à la mode dans les salons littéraires et mondains. C’est le grand divertissement de la bonne société de raconter des contes, et si possible, des contes « naïfs », c'est-à-dire populaires. Dans l’entourage de Perrault et de sa nièce, Melle L’Héritier, on se relaie pour dire des contes, parfois même les improvise. Ce ne sont pas seulement les contes de fées qui font fureur, c’est la féerie en général. La parution en 1697 des Histoires ou Conte du temps passé n’est donc pas un phénomène unique.

Cependant, la plupart des contes de cette époque sont des contes savants, composés par des dames de la grande société, qui multiplient les péripéties féeriques, participent au goût pour le spectaculaire, l’extravagance visuelle et les mises en scène à grand spectacle qui marquent les fêtes de Versailles. Les contes de fées des contemporains de Perrault constituent une littérature romanesque. Leurs auteurs écrivent avant tout des romans historiques et y incorporent leurs contes.

L'exception du populaire

Portrait gravé de Charles Perrault, encadré de contes
Portrait gravé de Charles Perrault, encadré de contes |

Bibliothèque nationale de France

Dans ce contexte littéraire immédiat, Perrault tient une place très originale. Il fait volontairement exception et prend bien soin de préciser que ses récits sont des contes qui se réfèrent à la tradition orale et non à une tradition littéraire romanesque. Non seulement les thèmes des contes s’inspirent du folklore, mais l’auteur cherche à donner aux textes le style de l’oralité : didascalies, formulettes, formules toutes faites diminutifs, onomatopées, etc. 

À l’époque, les contes sont véhiculés par les conteurs ou conteuses qui, engagées comme domestiques, servantes ou mies, ont pu les raconter en présence de Charles Perrault. Mais Perrault n’a pas fait que transcrire les contes qu’il a pu entendre. Cette simplicité naïve est en fait la marque d’une élaboration littéraire.Son génie tient dans sa capacité à restituer par des effets de style et de vocabulaire la simplicité et la justesse du ton populaire pour nous donner l’impression d’écouter le conteur populaire.

Je prétends même que mes fables méritent mieux d'être racontées que la plupart des contes anciens, et particulièrement celui de la Matrone d'Éphèse et celui de Psyché, si l'on les regarde du côté de la morale, chose principale dans toutes les fables.

Charles Perrault, Griselidis nouvelle, préface, 1694

Dans le manuscrit de 1695, est ajoutée une note en marge du texte : « on prononce ces mots d’une voix forte pour faire peur à l’enfant, comme si le loup l’allait manger ». Les formulettes, connues de tous aujourd’hui, sont des inventions de Perrault : « Tire la chevillette et la bobinette cherra », « Vous serez hachés menus comme chair à pâtés », etc. Le recueil contient un certain nombre de mots déjà désuets et archaïques pour l’époque. Dans la célèbre réplique de la sœur Anne : « Je ne vois rien que le soleil qui poudroie et l’herbe qui verdoie », poudroyer et verdoyer ne sont plus d’usage au 17e siècle. De même, ouïr, haleiner, chaperon, escabelle, etc.

Une écriture moderne

Dans le cadre de la querelle des Anciens et des Modernes, Perrault est convaincu de la supériorité d'une éducation chrétienne et morale. C’est pourquoi il insiste sur la valeur éthique de ces contes modernes à l’intention de l’enfance dans la préface. Le livre devient une arme nouvelle et un développement de l’offensive moderne dans le secteur de la pédagogie où son ennemi, ce vieux garçon de Boileau ne risque pas de le suivre. 

Barbe Bleue
Barbe Bleue |

gauche. Paris Musées © Palais Galliera, musée de la Mode de la Ville de Paris
droite. Bibliothèque nationale de France

Peau d’Âne  
Peau d’Âne   |

gauche. © Van Cleef & Arpels
droite. Bibliothèque nationale de France

Perrault veut prouver que ces contes, issus des campagnes et profondément chrétiens sont meilleurs que les contes païens des Anciens. Par ailleurs, par cette entreprise, il veut montrer qu’on peut faire de la littérature précieuse à partir d’une matière jusqu’ici réputée vulgaire (au sens étymologique du mot, c’est-à-dire venant du peuple) à condition de la travailler stylistiquement. Cela revient à proposer une inversion radicale de la hiérarchie des genres et des valeurs esthétiques.

Les contes de Perrault sont d’une remarquable brièveté en regard de la production de son époque. On y décèle de l’ironie, un humour grinçant, parfois grivois. Par exemple, le Petit Poucet, grâce aux bottes de l’ogre, exerce le métier de courrier et gagne bien sa vie grâce aux liaisons des dames de la cour qui voulaient avoir des nouvelles de leurs amants. C’est par la ruse, la tromperie, les mensonges et les menaces que le Chat botté fait la fortune de son maître. Les contes contiennent une, voire deux moralités, où l’ironie et le second degré sont marqués.

L’industrie et le savoir faire
Valent mieux que les biens acquis.

Charles Perrault, « Le Chat botté »

Enfin, dans les contes de Perrault, le merveilleux tient une place relativement modeste en regard des productions de l’époque qui font surenchère de féerie. Cette mise à distance du merveilleux s’opère par un ancrage dans la vraisemblance. Les chevaux du carrosse de Cendrillon conservent la couleur grise des souris. Le chat botté, effrayé par la métamorphose de l’ogre en lion « gagna aussitôt les gouttières, non sans peine et sans péril à cause des bottes qui ne valaient rien pour marcher sur les tuiles »...

Loin de se résumer à une plaisante collection de contes pour enfants, les contes de Perrault sont donc l'expression d'une sensibilité artistique et littéraire novatrice, aboutissement d'un parcours tout en entier dédié aux arts et aux lettres. Mort en 1703, Perrault a durabalement inscrit son nom au panthéon des grands auteurs du siècle de Louis XIV.

Provenance

Cet article provient du site Les Essentiels de la littérature (2015).

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