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Colette vue par ses contemporains

Portrait de Colette
Portrait de Colette

© Centre Pompidou, MNAM-CCI, Dist. GrandPalaisRmn / Philippe Migeat, Christian Bahier / ADAGP

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On se souvient aujourd’hui de Colette comme d’une écrivaine majeure de la première moitié du 20e siècle, mais qu’en était-il de son vivant ? Quelles ont été les étapes et les particularités de sa consécration ? En quoi le regard de ses contemporains a-t-il participé à façonner l’idée que nous nous faisons aujourd’hui de son œuvre ? C’est ce que nous allons tenter d’éclairer en posant quelques jalons essentiels.

1900 – 1920 : Émergence et début de reconnaissance

C’est vous, n’est-ce pas, l’auteur des Claudine… 

Catulle Mendès, cité dans Mes Apprentissages, 1936

On dit souvent que Colette doit son entrée en littérature à son premier mari, Willy, car c’est lui qui l’incite à écrire. Mais c’est aussi grâce à lui qu’elle se fait connaître de ses contemporains : il l’introduit dans des cercles littéraires et artistiques où elle fréquente aussi bien des écrivains et écrivaines (Anatole France, Pierre Louÿs, Marcel Proust, Francis Carco, Rachilde) que des compositeurs (Claude Debussy, César Franck, Maurice Ravel) et des comédiennes (Polaire, Musidora, Marguerite Moreno).

Portrait de Rachilde
Portrait de Rachilde |

Bibliothèque nationale de France

Cette entrée dans le monde des lettres et des arts joue un rôle déterminant dans sa carrière : elle lui apprend que, si l’écriture est une activité solitaire, en faire une profession et un gagne-pain impose de nouer des relations, de s'inscrire dans des sociabilités, qui débouchent d'ailleurs parfois sur de véritables amitiés. Colette se tient en revanche à l’écart des mouvements d’avant-garde du début du siècle… et les avant-gardes le lui rendent bien, en la personne de Guillaume Apollinaire qui s’agace du « terrible accent berrichon » de Colette (alors qu’elle est originaire de Bourgogne… berrichon, bourguignon : du pareil au même !) et trouve à son écriture « beaucoup d’affectation, peu de naturel et un simple talent de pensionnaire, une sensibilité de surface ». 

Bien que ses premiers romans soient publiés sous le nom de Willy, Colette en est rapidement identifiée comme l’ « auteur » véritable. Ce n’est toutefois pas par ces œuvres-là qu’elle gagne l’estime de ses pairs, mais par les Dialogues de bêtes, Les Vrilles de la vigne et surtout La Vagabonde, qui reçoit deux voix lors du prix Goncourt de 1910. Pendant la décennie suivante, Colette est nommée directrice littéraire du Matin, l’un des quotidiens plus populaires de l’époque, auquel elle fournit des articles réguliers. Elle a la responsabilité de sélectionner les feuilletons à paraître  dans ce journal, qui témoigne ainsi de la confiance qu’il lui accorde : en 1923, elle fait ainsi publier le futur écrivain à succès Georges Simenon, alors débutant, auquel elle adresse un précieux conseil : « Soyez simple ».

Un portrait de Colette en Une des Hommes du jour
Un portrait de Colette en Une des Hommes du jour |

Bibliothèque nationale de France

Des années 1920 à la seconde guerre mondiale : Consécration et  « classique de la littérature »

Dans l’entre-deux-guerres, Colette atteint sa maturité littéraire et connaît la consécration. Les œuvres Chéri, La Maison de Claudine, Le Blé en herbe, La Naissance du jour, Sido et La Chatte lui permettent d’accéder au rang de grand auteur, à une époque où le milieu littéraire se demande très sérieusement s’il est normal et bienvenu que les femmes écrivent et publient de la littérature. La faible estime dont les écrivaines font l’objet transparaît y compris dans les propos qui semblent des plus élogieux : « Une louange que vous ne vous attendiez guère à recevoir, je gagerais bien que c’est la mienne… Moi-même, je suis tout étonné de vous écrire, tout étonné du si grand plaisir que j’ai pris à vous lire » (André Gide), « À Colette qui, seule de son sexe, sait qu’écrire est un art » (Paul Valéry).

À Colette qui, seule de son sexe, sait qu’écrire est un art.

Paul Valéry, dans un ouvrage qu'il dédicace à Colette
Rien de très étonnant dans la condescendance de Paul Valéry et André Gide qui incarnent, à eux deux, la « grande » littérature, celle de l’Académie française et de la Nouvelle Revue Française.

À cette même période, la consécration de Colette se manifeste aussi par la parution d’études biographico-littéraires, la publication de ses œuvres en éditions de bibliophilie (c’est-à-dire dans des éditions de luxe ou demi-luxe destinées à un public qui apprécie les « belles éditions »), la participation à de nombreux jurys littéraires. À quatre reprises, elle soumet sa candidature à l’Académie Goncourt, tentatives qui se soldent toutes par un échec. La Belgique lui réserve un meilleur accueil en l’élisant en 1935 à son Académie Royale de Langue et de Littérature Françaises. Cela n’est pas sans irriter son concurrent Paul Claudel, qui voit dans cette élection une défaite de « la diplomatie contre l’Institut de beauté » (allusion au commerce de cosmétiques lancé par Colette en 1932).

Colette devient un « classique », une écrivaine qu’on enseigne dans les classes. Dès les années 1920, des extraits de ses œuvres apparaissent dans des anthologies, des ouvrages d’histoire littéraire et des manuels scolaires destinés aux classes de primaire. Mais seule une partie de son œuvre est représentée : essentiellement La Maison de Claudine, les Dialogues de bêtes, Sido. Colette apparaît en écrivaine de l’enfance, en chantre de la nature et des bêtes, en bourguignonne nostalgique de son village natal. Le music-hall de La Vagabonde, l’amour d’une courtisane vieillissante pour un jeune homme dans Chéri, l’initiation amoureuse des adolescents du Blé en herbe, tout cela est relégué hors du champ de la littérature scolaire. Ce statut de « classique vivant » participe à donner une vision partielle et édulcorée de l’œuvre de Colette, qui retient alors peu l’attention des universitaires : seul un ouvrage paraît à son sujet, L’Art de Colette de Pierre Trahard, publié en 1941.

Après la seconde guerre mondiale : Canonisation

Vie de Colette. Scandale sur scandale. Puis tout bascule et elle passe au rang d’idole

Jean Cocteau, Le Passé défini, tome II, 1953

La dernière décennie de la vie de Colette est celle de la canonisation : les honneurs pleuvent et elle apparaît comme un véritable mythe national. La consécration académique, qui s’est fait attendre, advient en 1944, quand Colette est élue à l’unanimité à l’Académie Goncourt et s’affuble à cette occasion du surnom de « Goncourte ». En 1949, elle devient la première femme à présider cette même Académie : récompense ultime pour une œuvre qui n’a jamais été couronnée par aucun prix littéraire, et revanche symbolique pour une écrivaine qui, parce qu’elle est femme, n’est pas en droit d’accéder à l’Académie Française (Marguerite Yourcenar n’y sera admise qu’en 1980).

Colette fêtant ses 80 ans avec l'Académie Goncourt
Colette fêtant ses 80 ans avec l'Académie Goncourt |

© Roger-Viollet

En 1953, Colette est la première femme à être promue au rang de Grand officier de la Légion d'honneur. Cela n’est pas du goût du grand chancelier, le général Audibert, qui fait part de son indignation au président de la République : « Son style peut séduire les jurys littéraires et ses aventures de gigolos et de proxénètes intéresser une clientèle spéciale, mais j'estime qu'il n'appartient pas au conseil de l'Ordre d'achalander une œuvre aussi dépravée ». Que certains n’aient pas été séduits par l’image consensuelle de la « bonne dame du Palais-Royal » et aient exprimé de l’indignation face à son œuvre, révélant ainsi le potentiel scandaleux et troublant qu’elle renfermait, c’était peut-être, paradoxalement, le plus grand honneur qu’on pouvait lui faire.

Nous ne la suivrons plus par les secrets méandres
Où seule et vainement elle eut un long succès
L’allée est solitaire où
Colette passait
Dans le vent retombé toute poussière est cendre
Une aile va manquer au murmure français

Louis Aragon, « Madame Colette » dans Les Lettres françaises, 1954

Provenance

Cet article a été conçu dans le cadre de l'exposition Les Mondes de Colette, présentée à la BnF du 23 septembre 2025 au 18 janvier 2026.

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