Découvrir, comprendre, créer, partager

Article

Benjamin Constant, libéral et cosmopolite

Portrait de Benjamin Constant (1767-1830), écrivain et homme politique
Portrait de Benjamin Constant (1767-1830), écrivain et homme politique

© Paris Musées / Musée Carnavalet - Histoire de Paris, CC0

Le format de l'image est incompatible
Écrivain, publiciste, philosophe, romancier, homme politique, autobiographe… Difficile de définir en un mot la place de Benjamin Constant dans l’histoire intellectuelle, politique et littéraire de ce début du 19e siècle. Si, à la faveur d’un jeu de mot facile, plusieurs de ses contemporains lui ont souvent reproché son inconstance, il est aisé cependant, par-delà ce que lui-même appelait sa « mobilité », de retracer la cohérence d’une œuvre et d’un parcours de vie hors du commun.

Premières passions

Portrait miniature de Madame de Staël sur le contreplat
Portrait miniature de Madame de Staël sur le contreplat |

Bibliothèque nationale de France

Benjamin Constant de Rebecque naît le 25 octobre 1767 à Lausanne. Après la mort de sa mère, son père lui donne une éducation cosmopolite. Celle-ci sera notamment marquée par un séjour à l’université d’Edimbourg, patrie d’Adam Smith et du libéralisme. Sur cette époque de pérégrinations où le jeune Constant se forme davantage en lisant des livres qu’au contact de ses maîtres, l’écrivain portera un regard amusé dans un récit autobiographique posthume, Ma vie.

Il a vingt-trois ans lorsque la Révolution française éclate. Passionné par la philosophie, il a dévoré les ouvrages des Lumières. Deux femmes de génie vont le mettre sur la voie de la politique et des lettres : Isabelle de Charrière, de vingt-sept ans son aînée, qu’il a rencontrée à Paris en 1787, et surtout Germaine de Staël. Avec la fille de Jacques Necker, Constant débute en 1794 une relation tumultueuse où les difficultés de la vie à deux n’empêcheront pas les deux amants de s’influencer mutuellement sur les plans tant intellectuels qu’artistiques. Cette intimité durera plus de quinze ans.

Entre politique et littérature

Séance du Tribunat : Benjamin Constant occupe la tribune
Séance du Tribunat : Benjamin Constant occupe la tribune |

Bibliothèque nationale de France

Après la publication de quelques traités politiques (De la force du gouvernement actuel et de la nécessité de s’y rallier, 1796), Constant devient tribun sous le consulat de Bonaparte mais il s’oppose rapidement aux dérives dictatoriales du régime. Ayant suivi Germaine de Staël dans son exil jusqu’en Allemagne, il se consacre assidûment à la création littéraire, débutant plusieurs romans, dont Adolphe et le récit posthume Cécile, mais aussi un journal intime qui demeure l’un des modèles du genre. Certains lui feront reproche de son opportunisme politique quand, après la parution d’un pamphlet antinapoléonien, De l’esprit de conquête et de l’usurpation, ils le verront se rallier à l’empereur à son retour de l’île d’Elbe, allant même jusqu’à rédiger pour lui une nouvelle constitution.

Le succès de son bref roman d’analyse Adolphe durant l’année 1816 révèle au public un tout autre visage de Benjamin Constant. Sa carrière d’écrivain ne l’empêche pas de devenir sous la Restauration l’un des principaux chefs de l’opposition libérale. La plupart des discours qu’il prononce (De la Liberté des Anciens comparée à celle des Modernes, 1819), ses essais sur la littérature, ses ouvrages de théorie politique et son grand livre sur la religion sont publiés consécutivement.

Liberté et individualité

À ses détracteurs, Constant rétorque : « J’ai défendu quarante ans le même principe, liberté en tout, en religion, en philosophie, en littérature, en industrie, en politique : et par liberté, j’entends le triomphe de l’individualité, tant sur l’autorité qui voudrait gouverner par le despotisme, que sur les masses qui réclament le droit d’asservir la minorité à la majorité. » (préface à Mélanges de littérature et de politique, 1829). Témoin du déchaînement de la Terreur, ce fin lecteur de Montesquieu énonce dans ses écrits politiques un principe de limitation de la souveraineté populaire : entre la sphère publique et la sphère privée il s’agit d’ériger une barrière infranchissable. L’épanouissement de la vie privée devient ainsi synonyme de liberté.

Tout ce qui ne trouble pas l’ordre, tout ce qui n’est qu’intérieur […] est individuel, et ne saurait être légitimement soumis au pouvoir social.

Benjamin Constant, Mélanges de littérature et de politique, préface, 1829

En effet, la liberté propre aux Modernes s’oppose à la conception des Anciens pour qui la participation des citoyens à la vie publique requérait en retour « l’assujettissement complet de l’individu à l’autorité de l’ensemble ». Il importe dès lors à Constant que les institutions politiques soient les garantes d’un tel épanouissement, celui-ci n’excluant pas l’exaltation d’un certain sentiment religieux, dont l’exercice se trouve néanmoins ramené lui aussi à l’espace privé.

Les germes du romantisme

Tristesse d’Adolphe
Tristesse d’Adolphe |

Bibliothèque nationale de France

Cette pensée politique se révèle donc indissociable du versant intimiste de l’œuvre littéraire de Benjamin Constant. Que ce soit dans son chef-d’œuvre, Adolphe, dans ses récits posthumes (Cécile, Ma vie), dans ses journaux intimes et dans ses lettres, l’écrivain s’est passionné pour l’exploration de cette individualité qu’il reconnaissait comme étant au centre de la vie moderne, quitte à mettre en lumière ses zones d’opacité et ses méandres. S’inscrivant dans la tradition de Montaigne, l’auteur des journaux intimes exprime souvent l’inconsistance d’un moi aux prises avec la confusion de ses propres sentiments autant qu’avec les exigences de la société à son égard.

Cette attention dirigée vers les mouvements infimes de l’âme aboutit également chez Constant à une méfiance vis-à-vis du langage, en particulier lorsqu’il s’agit de définir la vérité de l’expérience amoureuse. En contraste avec ses théories politiques et avec sa foi dans le progrès historique, le pessimisme moral de Constant prépare la peinture romantique du « mal du siècle » tout en assumant l’héritage des moralistes classiques.

C’est un affreux malheur de n’être pas aimé quand on aime ; mais c’en est un bien grand d’être aimé avec passion quand on n’aime plus.

Benjamin Constant, Adolphe, 1816

Provenance

Cet article provient du site Les Essentiels de la littérature (2017).

Lien permanent

ark:/12148/mm974tkd1qnpv