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Édouard Vuillard (1868-1940), à l’époque nabie

Le Nabi zouave
Au lit
Au lit

© GrandPalaisRmn (musée d’Orsay) / Sylvie Chan-Liat

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Né à Cuiseaux, en Saône-et-Loire, Édouard Vuillard arrive à Paris avec sa famille en 1877. Il étudie au Lycée Condorcet où il fait la connaissance de François Xavier Roussel (futur Ker-Xavier Roussel), de Maurice Denis et d’Aurélien Lugné (futur Lugné-Poe). Renonçant au projet de carrière militaire, il s’inscrit, avec Roussel, dans l’atelier du peintre Diogène Maillart, puis à l’Académie Julian et, après trois tentatives infructueuses, il est finalement admis à l’École des Beaux-arts en 1887. Il copie les maîtres lors de séances au Louvre. Ses premières natures mortes dénotent une sensibilité intimiste de même que ses autoportraits un goût de l’introspection.

La salle à manger rouge
La salle à manger rouge |

© GrandPalaisRmn (musée d’Orsay) / Hervé Lewandowski

La révélation de la peinture de Gauguin fait évoluer son art, le poussant à délaisser l’observation réaliste au profit d’une vision subjective et synthétique de la nature telle que la prône Maurice Denis, tout en regardant la peinture néo-impressionniste de Seurat ou celle expressionniste de Toulouse-Lautrec dont ses œuvres précoces portent l’influence. Au sein du groupe des Nabis, qu’il intègre en 1890, il est surnommé le « Nabi zouave » en raison de la ressemblance de sa barbe avec celle des soldats de l’armée d’Afrique.

Vuillard tenant son appareil Kodak au côté de Renée
Vuillard tenant son appareil Kodak au côté de Renée |

© GrandPalaisRmn (musée d’Orsay) / Hervé Lewandowski

Il est particulièrement proche de Bonnard avec qui il noue une amitié qui perdurera jusqu’à sa mort. Les deux amis partagent un atelier rue Jean-Baptiste Pigalle en 1890, avec Maurice Denis et Lugné-Poe, ainsi qu’un intérêt pour les scènes du quotidien saisies à la manière d’instantanés photographiques et restituées selon l’état d’âme du moment. L’univers familier de l’atelier de couture de sa mère, les salons bourgeois de ses amis, autant d’intérieurs intimistes, deviennent des sujets de prédilection.

En 1892, il honore une première commande de six panneaux décoratifs pour l’appartement parisien de Paul Desmarais, un cousin de Thadée Natanson, le fondateur de la Revue blanche. Sa contribution aux arts décoratifs, auxquels les Nabis accordent une place particulière dans leur désir d’intégrer l’art au quotidien, se poursuit avec la réalisation, pour le même commanditaire, d’un paravent, Les Couturières.

Les Amis autour de la table, Saint-Jacut
Les Amis autour de la table, Saint-Jacut |

© GrandPalaisRmn (musée d'Orsay) / Martine Beck-Coppola

Destinés à la salle-à-manger de l’hôtel particulier d’Alexandre Natanson avenue du Bois, les neuf panneaux consacrés aux Jardins publics dévoilent un autre thème cher à l’artiste. Ces compositions décoratives pour des intérieurs privés, qui se multiplient, s’inscrivent dans le courant japoniste dont l’influence sur les artistes est à son comble depuis l’exposition d’art japonais organisée à l’École des Beaux-arts en 1890. Comme nombre de ses pairs, Vuillard collectionne l’estampe japonaise et s’en approprie l’esthétique qui enrichit également sa production imprimée.

L’Atelier
L’Atelier |

Bibliothèque nationale de France

Vuillard et la lithographie

Lorsqu’il découvre la lithographie en 1893, ce sont naturellement des scènes intimistes qu’il dessine sur la pierre : L’Intérieur au paravent ou Vieille femme au fourneau. La liberté avec laquelle il manie le crayon lithographique se confirme avec les planches Intimité et L’Atelier, qui s’apparentent à des manières noires lithographiques, dans lesquelles le noir de l’encre l’emporte sur le blanc du papier. Le clair-obscur du salon de Thadée et Misia Natanson, éclairé par une lampe, et l’effet de contre-jour de l’atelier de couture de sa mère résultent de grattages audacieux.

Lisez La Revue Blanche / Une nuit d’Avril à Céos / L’image
Lisez La Revue Blanche / Une nuit d’Avril à Céos / L’image |

Bibliothèque nationale de France 

Pour l’illustration des programmes de spectacle que lui commande son ami Lugné-Poe, fondateur du Théâtre de l’Œuvre, Vuillard fait appel à ces mêmes effets dramatiques d’une encre noire envahissant l’espace de la feuille en adéquation avec le climat inquiétant des pièces d’Ibsen et de Strinberg du répertoire. Il trouve dans ces pièces centrées sur les états d’âme des personnages un écho à ses propres recherches picturales et à ses scènes d’intérieur. En sa qualité de co-fondateur du Théâtre de l’Œuvre avec Camille Mauclair, Vuillard qui est le plus impliqué parmi les Nabis dans cette aventure, s’est vu confié par Lugné-Poe l’exécution de nombreux décors dont il ne subsiste malheureusement rien.

Avec les Nabis, Vuillard expose à l’automne 1893 à la galerie Le Barc de Boutteville mais aussi dans les locaux de La Revue blanche des frères Natanson qui le soutiennent. Thadée et Misia Natanson deviennent des intimes.

Intérieur [dit aussi La sieste ou la convalescence]
Intérieur [dit aussi La sieste ou la convalescence] |

Bibliothèque nationale de France

La Couturière
La Couturière |

Bibliothèque nationale de France

La couleur fait une apparition timide dans son œuvre imprimé, en 1893, avec La Sieste ou La Convalescence, lithographie en deux tons imprimée par Edward Ancourt et publiée dans la première livraison de L’Estampe originale lancée par André Marty. La Couturière, tirée elle aussi en deux couleurs, est éditée l’année suivante par La Revue Blanche.

Le Jardin des Tuileries
Le Jardin des Tuileries |

Bibliothèque nationale de France

Mais c’est à Ambroise Vollard que revient le mérite d’avoir donné à Vuillard la possibilité d’exprimer plus amplement son talent de peintre-lithographe en couleurs. Dans le premier Album des peintres-graveurs publié en 1896, Vuillard est représenté par Le Jardin des Tuileries imprimé en quatre couleurs par Auguste Clot. L’année suivante, il donne la planche Jeux d’enfants dans laquelle il joue librement avec les trois couleurs primaires.

La suite Paysages et intérieurs éditée par Vollard à cent exemplaires en 1899, marque l’aboutissement de ses recherches dans le domaine de la lithographie en couleurs. Il y travaille durant trois ans par l’exécution de plusieurs dessins préparatoires et l’impression d’épreuves d’essai en collaboration étroite avec Auguste Clot. La suite comprend quatre paysages majoritairement parisiens et neuf scènes d’intérieur (en comptant celle de la couverture) dans lesquelles Vuillard a fait poser ses proches. On y reconnait ses amis Tristan Bernard, Misia et Thadée Natanson et sa mère, son modèle favori, dont la silhouette apparaît à plusieurs reprises dans l’appartement de la rue Saint-Honoré partagé avec son fils depuis le mariage de sa fille, Marie, avec Ker-Xavier Roussel en 1893.

La subtilité des camaïeux mis en œuvre dans ces douze planches, comportant entre quatre et sept couleurs posées au crayon et au pinceau, contribue à faire de cet album un des chef d’œuvre de l’art graphique nabi.  

Provenance

Cet article a été publié dans le cadre de l’exposition Impressions nabies présentée à la BnF du 9 septembre 2025 au 11 janvier 2026. 

Lien permanent

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