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La Comédie-Française aux 17e et 18e siècles

« Le regard en coulisses » (salle des Fossés Saint-Germain, d’après Charles-Antoine Coypel, 1726)
« Le regard en coulisses » (salle des Fossés Saint-Germain, d’après Charles-Antoine Coypel, 1726)

© Collection Comédie-Française

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La Comédie-Française, qui a traversé les siècles jusqu’à nos jours, est une institution théâtrale fondée par Louis XIV en 1680, sept ans après la mort de Molière dont elle revendique aujourd’hui encore le patronage. Elle résulte d’une politique culturelle ambitieuse qui vise à promouvoir le théâtre tout en assurant son contrôle par le pouvoir royal.

Un théâtre privilégié

Lettre de cachet du 21 octobre 1680 
Lettre de cachet du 21 octobre 1680 
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© Collection Comédie-Française

La lettre de cachet qui ordonne la création de la Comédie-Française est fondée sur un triple principe, conforme à la politique des privilèges menée par Louis XIV. Le premier est d’ordre institutionnel : la Comédie-Française est une troupe unique dont la création est assortie de l’interdiction faite à toute autre troupe française de s’établir à Paris et ses faubourgs. Le deuxième est d’ordre administratif : la troupe est placée sous la tutelle du roi qui ordonne sa création, fixe la liste initiale de ses acteurs, la dote d’une pension annuelle et la place sous le contrôle des gentilshommes de la Chambre. Le troisième principe, d’ordre esthétique et indissociablement politique, justifie les deux précédents : c’est celui de la perfection des arts de la scène qui doit favoriser le prestige et le rayonnement de la monarchie.

Plan en coupe de la salle de la Comédie-Française (rue des Fossés Saint-Germain)
Plan en coupe de la salle de la Comédie-Française (rue des Fossés Saint-Germain) |

© A. Dequier, collection Comédie-Française

La Comédie-Française constitue ainsi, avec l’Académie royale de musique, l’un des deux piliers les plus stables de la vie théâtrale jusqu’à la Révolution. Les deux institutions, spécialisées pour l’une dans le théâtre parlé, pour l’autre dans le théâtre musical, ne sont pourtant pas parfaitement symétriques : tandis que l’Opéra jouit d’un monopole clairement délimité, qu’il pourra d’ailleurs sous-traiter à l’Opéra-Comique, le privilège de la Comédie-Française ne cesse d’être contesté et contourné, alimentant de nombreuses querelles avec les théâtres de la Foire ainsi qu’avec la Comédie-Italienne (qui joue principalement en français – c’est là que Marivaux rencontre ses plus grands succès). Ces troupes rivales ne contestent pas à la Comédie-Française le monopole du répertoire hérité du 17e siècle ni du genre tragique, mais elles lui font une concurrence directe dans le registre de la comédie qu’elles contribuent à renouveler. Ces querelles témoignent de la vitalité de la production dramatique au 18e siècle en dépit d’une politique de régulation et de centralisation de l’offre de spectacles.

« Registre pour la troupe du Roy » (30 avril 1680 - 29 mars 1681)
« Registre pour la troupe du Roy » (30 avril 1680 - 29 mars 1681) |

© Collection Comédie-Française

« Registre pour la troupe du Roy », le 3 mai 1680
« Registre pour la troupe du Roy », le 3 mai 1680 |

© Collection Comédie-Française

Un théâtre de répertoire

Dès ses origines, la Comédie-Française joue le rôle patrimonial de conservatoire du répertoire national. Au cours du 18e siècle, les trois auteurs les plus joués appartiennent au siècle précédent : il s’agit de Molière, Corneille et Racine. Molière devance largement les deux autres : les trois pièces le plus souvent programmées entre 1680 et 1793 sont Le Tartuffe, Le Médecin malgré lui et L’École des femmes. Molière n’est pourtant pas l’auteur le plus rentable : son répertoire constitue en quelque sorte le « fonds de commerce » du théâtre mais il attire peu les foules.

Florent Carton, dit Dancourt, (1661-1725)
Florent Carton, dit Dancourt, (1661-1725) |

© P. Lorette, collection Comédie-Française

Charles Dufresny (1648-1724)
Charles Dufresny (1648-1724) |

Bibliothèque nationale de France

Parallèlement, les Comédiens Français font émerger de nouveaux auteurs et de nouveaux genres. À la fin du 17e siècle, les comiques dits « post-moliéresques », qui partagent parfois leur carrière entre Comédie-Française et Comédie-Italienne comme Regnard ou Dufresny, cultivent la satire des mœurs et font la part belle aux divertissements chantés et dansés.

Frontispice de Cénie, pièce en cinq actes de Mme de Graffigny (1695-1758)
Frontispice de Cénie, pièce en cinq actes de Mme de Graffigny (1695-1758) |

Bibliothèque nationale de France

Dans les années 1730, les promoteurs de la comédie sensible ou larmoyante, tels Destouches ou La Chaussée, font évoluer le genre vers plus de tendresse et de moralité. Ils annoncent l’invention du drame, genre qui sera promu par Diderot et qui connaît de premiers grands succès sur la scène française avec Cénie de Madame de Graffigny (1751) ou Le Philosophe sans le savoir de Sedaine (1765). Les auteurs tragiques, sans renier complètement le moule classique, infléchissent le genre vers davantage de spectaculaire (Crébillon) et cherchent de nouvelles sources d’inspiration du côté de l’exotisme (parfois Voltaire) ou, plus tard, de sujets politiques tirés de l’histoire nationale (De Belloy, Chénier). Voltaire devient à la Comédie-Française un auteur de tout premier plan et domine la programmation dans la deuxième moitié du siècle. La cérémonie de son « couronnement », en 1778, témoigne de l’admiration et du soutien dont il jouit auprès du public. Son autorité au sein de la troupe lui permet d’être très actif pour superviser l’exécution de ses pièces, en assurer le succès et porter la réforme de la scène qu’il appelle de ses vœux. 

« Couronnement de Voltaire » au théâtre français le 30 mars 1778
« Couronnement de Voltaire » au théâtre français le 30 mars 1778 |

Bibliothèque nationale de France

Un théâtre des interprètes

Brizard dans L'Orphelin de la Chine (1755)
Brizard dans L'Orphelin de la Chine (1755) |

Bibliothèque nationale de France

Face aux auteurs, la troupe est constituée comme un collectif à l’idéal démocratique et égalitaire, porté par ses comédiens et comédiennes qui en sont autant de sociétaires assurant le fonctionnement du théâtre de manière relativement autonome : partage des recettes à parts égales, choix de la programmation lors d’assemblées régulières, gestion des affaires courantes… Certains comédiens, également auteurs, sont particulièrement précieux à la troupe : Dancourt par exemple, au tournant des 17e et 18e siècles, fournit abondamment la troupe en « dancourades », petites pièces en un acte, souvent tirées de l’actualité, jouées en deuxième partie de programme et très appréciées par un public friand de nouveautés.

L’histoire de la troupe coïncide, au 18e siècle, avec l’essor du vedettariat. Au fil des générations, plusieurs grandes figures de comédiens et comédiennes se distinguent et font porter leur voix, pour faire évoluer le métier et l’art de l’acteur.

Michel Boyron, dit Baron (1653-1729)
Michel Boyron, dit Baron (1653-1729) |

Bibliothèque nationale de France

Adrienne Lecouvreur (1692-1730)
Adrienne Lecouvreur (1692-1730) |

Bibliothèque nationale de France

Dès les origines, Michel Baron ou Mlle Champmeslé, émule de Molière pour l’un, égérie de Racine pour l’autre, marquent l’ancrage de la troupe dans l’histoire du 17e siècle ; Adrienne Lecouvreur, admirée pour la qualité de son jeu sensible, devient à sa mort en 1730 le symbole du scandale de l’excommunication des comédiens ; autour des années 1750, Mademoiselle Clairon et Lekain portent, aux côtés de Voltaire, le projet de réforme du costume de scène et engagent une réflexion sur la formation au métier d’acteur ; Talma, à la fin du siècle, incarne la lutte pour l’idéal révolutionnaire, cause de sa démission en 1791, lorsqu’il emmène avec lui une partie des Comédiens Français pour se produire au « Théâtre de la République ».

Henri Louis Lekain (1729-1778), dans Mahomet  de Voltaire
Henri Louis Lekain (1729-1778), dans Mahomet  de Voltaire |

Bibliothèque nationale de France

Mademoiselle Clairon (1723-1803), dans le rôle d'Electre
Mademoiselle Clairon (1723-1803), dans le rôle d'Electre |

Bibliothèque nationale de France

Un théâtre dans son siècle

Illustration pour Les Philosophes de Palissot (1760) : Crispin, allant à quatre pattes
Illustration pour Les Philosophes de Palissot (1760) : Crispin, allant à quatre pattes |

Bibliothèque nationale de France

L’histoire de la Comédie-Française se confond bien souvent avec l’histoire du théâtre en France. Par sa longévité et la stabilité de sa troupe, elle est un témoin privilégié des politiques culturelles du pays, ainsi qu’un acteur de premier plan des grandes évolutions dans l’histoire du théâtre, lesquelles se font souvent au gré de vifs épisodes polémiques : naissance de la mise en scène et revendication de la couleur locale dans le choix des décors et costumes (autour de L’Orphelin de la Chine de Voltaire notamment, en 1755) ; débats sur la place assignée au public (les places réservées sur scène pour un public fortuné sont supprimées en 1759) et sur l’attitude attendue du parterre (qui, longtemps debout, se trouve finalement assis, et donc plus contrôlable, dans la salle du Faubourg Saint-Germain, actuel Odéon, inaugurée en 1782) ; contestation du privilège des Comédiens Français par les troupes concurrentes et revendications croissantes pour autoriser la liberté des théâtres et du répertoire (rendue finalement possible par la loi Le Chapelier, en 1791) ; combat des auteurs dramatiques, menés par Beaumarchais notamment, au lendemain du succès du Barbier de Séville (1775), pour faire reconnaître le droit à la propriété intellectuelle ; controverses engendrées par la montée des Lumières (querelle autour des Philosophes, pièce antiphilosophique de Palissot en 1760, triomphe tumultueux du Mariage de Figaro après six ans de lutte contre la censure en 1784, puis de Charles IX qui, en 1789, au lendemain de la prise de la Bastille, critique le pouvoir monarchique).

Ces débats témoignent de l’impact de la création théâtrale dans une institution centrale, où les considérations esthétiques et artistiques ne sont pas dissociables de l’histoire politique, intellectuelle et culturelle du pays.

La Folle Journée ou Le Mariage de Figaro
La Folle Journée ou Le Mariage de Figaro |

Bibliothèque nationale de France

Pour en savoir plus : Agathe Sanjuan et Martial Poirson, Comédie-Française : une histoire du théâtre, Paris, Seuil, Comédie-Française, 2018.

Provenance

Cet article a été publié à l’occasion de l’exposition Molière, le jeu du vrai et du faux, présentée à la BnF du 27 septembre 2022 au 15 janvier 2023.

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