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La Maison de Claudine, Sido, La Naissance du jour

Le cycle maternel
Manuscrit autographe de Sido relié dans une robe de Sido en toile bleue brodée d'épis blancs
Manuscrit autographe de Sido relié dans une robe de Sido en toile bleue brodée d'épis blancs

Bibliothèque nationale de France

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Quoiqu’écrits avec plusieurs années d’écart, ces trois textes de Colette sont souvent rapprochés, parce qu’ils mettent en avant la figure tutélaire de Sido, la mère de Colette à laquelle elle rend hommage. Si le portrait de celle-ci est moins réaliste et plus nuancé qu’il n’y parait d’abord, ces trois œuvres célèbrent également l’enfance de Colette et les enseignements qu’elle en a conservés.  

Un tombeau littéraire offert à Sido

Contrairement à ce qu’indique le titre du livre paru en 1922, La Maison de Claudine, l’héroïne fictive n’y apparait pas, la maison évoquée est sans équivoque celle de Sidonie Langlois, mère de Colette. Les trente chapitres qui composent ce livre sont émaillés d’allusions autobiographiques qui renvoient à Saint-Sauveur-en-Puisaye, village natal de Colette.

Dès le premier texte, il est question du Jardin-du-haut et du Jardin-du-Bas ainsi que des rues de l’Hospice et des Vignes qui enserrent la maison natale de Colette.

Manuscrit de La Maison de Claudine
Manuscrit de La Maison de Claudine |

Bibliothèque nationale de France

Quant au personnage central d’histoires qui se succèdent de manière discontinue, il s’agit presque toujours de celle que la narratrice appelle « ma mère », également nommée Sido par son mari, « pour abréger Sidonie ». Les surnoms sont légion dans ce texte : le Sauvage évoque le père de Colette – les sauvages seront les enfants Colette dans Sido – Minet-chéri, la Petite ou Bel-Gazou désignent Colette elle-même. Les frères et sœur Achille, Léo et Juliette ainsi que quelques voisins ou visiteurs sont également mentionnés par leurs noms, mais c’est majoritairement Sido qui est la principale protagoniste des différents récits : elle apparait de façon explicite dans six titres de chapitre « Ma mère et… les livres/le curé/la morale/la maladie/le fruit défendu ».

La figure maternelle est comme au centre de la boussole de Colette comme le suggère le titre du texte paru en 1929, Sido et les points cardinaux, ensuite enrichi de pages consacrées au reste de la famille et renommé Sido en 1930. Tout au long de l’œuvre et dès l’incipit, les paroles de Sido résonnent : « Pourquoi cesserais-je d’être de mon village ? » À mi-chemin entre l’autobiographie et le roman, La Naissance du jour, paru en 1928, débute par la reproduction par la narratrice d’une lettre de sa mère. Cette dernière refuse une invitation car elle ne veut pas rater la floraison de son cactus rose. À plusieurs reprises, la narratrice âgée nous donne à lire ou à entendre les mots de sa mère, et dialogue avec elle. « Écoutez la me conter un diner de noces ». Dans ce livre souvent considéré comme celui du renoncement, Colette offre à sa mère un tombeau littéraire :  « Dans le cœur, dans les lettres de ma mère, étaient lisibles l’amour, le respect des créatures vivantes. »

Le paysage de l’enfance mythifié

Toutefois, si Sido occupe cette grande place dans ces trois œuvres, son portrait est plus ambivalent qu’on ne le croit d’abord. Dans Sido, celle-ci se montre possessive et jalouse de son amie Adrienne et ses pouvoirs la rendent parfois inquiétante. « Pythonisse authentique », Sido apparait comme un personnage omnipotent et omniscient puisqu’elle sait décrypter tous les phénomènes naturels, et parait capter les messages du cosmos lorsqu’elle annonce les vents. Douée de « cette forme décrétale de l’observation », elle délivre sur ses contemporains des « sentences, excommunicatoires le plus souvent ». Sido tient parfois des propos parfois désagréables, y compris à sa fille qu’elle nomme pourtant « Beauté, joyau-tout-en-or », son « chef d’œuvre ». À quatre reprises dans Sido, elle dit à sa fille qu’elle a « l’air bête » et c’est sans doute avec une pointe d’ironie qu’il faut lire certains propos de « [s]a charmante mère ».

Manuscrit de La Naissance du jour
Manuscrit de La Naissance du jour |

Bibliothèque nationale de France

Le lecteur doit se rappeler qu’il s’agit d’une mère de papier, qui semble par moments mythifiée comme l’est la famille Colette dans Sido. Ne passant pas avec son lecteur de pacte autobiographique explicite, il s’agit en effet moins de dépeindre avec précision que de célébrer l’harmonie parfaite du couple Colette ou l’entente des deux frères qui ne se sont « jamais battus, ni insultés ». L’exemplarité semble l’emporter sur l’exactitude et, dans Sido, Colette n’écrit pas une autobiographie : elle donne à admirer « cette complète image de l’amour » qui a éclairé son enfance. La véracité n’est pas l’objectif qu’elle se donne comme l’annonce l’épigraphe de La Naissance du jour, qui fait alterner les lettres – qu’elle a largement remaniées – de Sidonie Langlois et la fiction :  « Imaginez-vous, à me lire, que je fais mon portrait ? Patience : c’est seulement mon modèle ». Le portrait qu’elle donne à lire de Sido est donc celui d’une figure idéale, qu’elle aspire à devenir.  

L’apprentissage d’une attention au monde

Dans Sido, la narratrice écrit : « J’épelle, en moi, ce qui est l’apport de mon père, ce qui est la part maternelle ». Or la principale leçon semble avoir été donnée par Sido et son « voltigeant regard » : « Regarde ! » répète-t-elle à sa fille, face à la rose ou à la chatte qui plie ses pattes. Se présentant comme la fille d’une observatrice en prise avec la nature et d’un érudit qui rêve d’écrire, Colette déploie une langue qui vise à décrire au mieux la variété du monde qui l’entoure. Qu’elle évoque le décor natal dans La Maison de Claudine ou Sido, ou sa maison de Saint Tropez, La Treille muscate, dans La Naissance du jour, les plantes, les animaux, les sources ou les bois donnent naissance à des phrases d’une grande beauté.

Le langage se fait précis, les mots que Colette choisit sont ceux d’un botaniste ou d’un malacologue comme le père fictif de Claudine. Dans ses descriptions, les adjectifs et les compléments affluent et Colette sait utiliser toute la palette des sensations pour évoquer l’odeur des violettes, le goût des sources de son enfance ou le pelage d’un matou. Revenir en pensée à l’enfance, à la famille et à la maison natale, c’est donc pour Colette tenter de saisir, par ses mots, tout ce qui fait la richesse d’une nature généreuse et foisonnante. Le conseil donné par sa mère devient alors un défi « Dis ! » où il s’agit là encore moins de décrire rationnellement le monde que de le célébrer, en utilisant toutes les émotions à disposition.

Provenance

Cet article a été conçu dans le cadre de l'exposition Les Mondes de Colette, présentée à la BnF du 23 septembre 2025 au 18 janvier 2026.

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