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Les Vrilles de la vigne

Reflets d'une émancipation
Couverture des Vrilles de la vigne
Couverture des Vrilles de la vigne

Bibliothèque nationale de France

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Les Vrilles de la vigne est le premier des recueils de textes publiés par Colette. Il s’agit de textes variés, écrits entre 1905 et 1908 pour diverses revues puis rassemblés et réordonnés par Colette au fil des ans. Cette œuvre reflète les différentes facettes d’une femme et d’une écrivaine en pleine émancipation après sa séparation avec Willy.

Des textes variés

Les textes qui composent Les Vrilles de la vigne n’ont pas été écrits pour former un tout. Ils ont été écrits au fil des commandes dans trois revues françaises, Le Mercure musical, Le Mercure de France et La Vie parisienne. Quant au recueil, il a été publié cinq fois du vivant de Colette (1908, 1923, 1930, 1934, 1950) et chaque fois la composition a été modifiée, certains textes étant supprimés, ajoutés ou déplacés. Les lecteurs ne doivent donc pas être surpris par l’aspect disparate de ce livre, composé de multiples fragments de formes et de thèmes différents.

En observant les titres des dix-huit à vingt-deux textes qui figurent dans les différentes tables des matières, il est possible de distinguer quelques thèmes communs : certains titres évoquent la nature, les animaux, d’autres renvoient à un monde plus civilisé, mondain ou artistique. « Nuit blanche », « Jour gris » et « Le Dernier feu » laissent tous trois imaginer un univers contrasté, plus poétique.

En parcourant le recueil, et en survolant les textes, le lecteur peut également voir que l’écriture n’est pas la même selon les chapitres. Si les textes font majoritairement émerger une narratrice féminine indéterminée et qui dit « je », certains textes s’adressent à un « tu » mystérieux, quand d’autres s’apparentent à un récit fictionnel à la troisième personne. Certains textes, comme « En baie de Somme » sont composites, faisant se succéder, entrecoupés par des astérisques, une saynète familiale sur la plage, une rêverie à propos de noms d’oiseaux de marais puis une anecdote rendant compte de la vie d’un port touristique : on est proche d’une écriture du reportage attentive aux « choses vues », pour reprendre les mots de Marie-Odile André (Colette à la plage, 2018). « Toby-chien parle » et « Dialogues de bêtes » s’apparentent à un texte théâtral. Seule fable du recueil, c’est le texte intitulé Les Vrilles de la vigne et placé en tête d’ouvrage qui révèle la clé principale du livre.

Vignette de titre du chapitre « Toby-chien et la musique » des Vrilles de la vigne
Vignette de titre du chapitre « Toby-chien et la musique » des Vrilles de la vigne |

Bibliothèque nationale de France

Les différentes facettes d’une émancipation sociale et littéraire

Le texte initial, Les Vrilles de la vigne, donne son nom au recueil. Il constitue une clé indispensable pour mieux comprendre la place qu’occupe ce livre dans la vie et l’œuvre de Colette. Le rossignol enserré dans « les vrilles d’une vigne amère » qui s’en libère en chantant évoque de manière métaphorique l’émancipation de Colette qui n’est plus asservie, littérairement et socialement, à Willy, son premier mari. « J’écoute le son de ma voix » dit l’oiseau, comme Colette qui explore de nouvelles manières de s’exprimer et s’éloigne d’une Claudine dans laquelle elle se reconnait moins. Si cette émancipation n’est pas synonyme d’apaisement – « Je ne connais plus le somme heureux, mais je ne crains plus les vrilles de la vigne. » – elle lui permet d’explorer des univers nouveaux, en écho avec sa nouvelle vie. Ainsi elle évoque le monde de la musique qui lui a permis de se faire un nom puisque dès 1895 elle signe ses premières chroniques musicales du nom de Colette Gauthier Villars. « La dame qui chante », seule fiction dans ce recueil à portée autobiographique, évoque la transfiguration de celle qui fait entendre sa voix lyrique. Le monde de la pantomime dans lequel Colette s’illustre au début du siècle est également présent, grâce au texte « Music-halls ». On y voit de petites danseuses anglaises comme « une portée de chatons orphelins, qui se pressent pour se tenir chaud » : c’est ce monde fragile de filles utilisant leurs corps pour gagner leur vie qui prend la place de Claudine et de ses amies.

Vignette de titre du chapitre « Le Miroir » des Vrilles de la vigne
Vignette de titre du chapitre « Le Miroir » des Vrilles de la vigne |

Bibliothèque nationale de France

Si Colette emprunte de nouvelles voies, elle trace de nouvelles pistes qu’elle n’avait que peu explorées dans ses premiers romans. Si dans Claudine à l’école la description des prés et des bois autour de Montigny avait déjà donné lieu à des passages très réussis, elle y revient et met en lumière la nature et les animaux dans plusieurs textes des Vrilles de la vigne. « Nonoche » et«  Amours » évoquent à la manière d’un naturaliste les comportements maternels et amoureux de la chatte. Le recueil fait aussi place à deux textes qui font dialoguer les animaux : il s’agit de « Dialogues de bêtes », du nom de l’ouvrage qu’elle a publié pour la première fois en 1904 et qui en comportait quatre, et de « Tobby-chien parle ». Ces dialogues entre le bull Tobby et la siamoise Kiki-la-doucette délivre en creux le portrait de leur maitresse qui est trompée mais se rebelle et de ses soirées avec les Élysées-girls. Ces dialogues mettent aussi au jour une femme qui n’est pas là où l’on croit : ne chérissant que les décors du passé, « ce seuil usé par ses pas enfantins », elle semble dormir alors qu’« elle est assise en même temps sur la roche tiède, au revers de la combe, et aussi sur la branche odorante et basse du pin argenté […] elle cueille en ce moment, au potager, la fraise blanche qui sent la fourmi écrasée. »

Une sensualité inscrite dans la langue elle-même

Le recueil Les Vrilles de la vigne donne accès à une écriture sensuelle, parfois lyrique, d’une grande beauté. Colette s’affirme comme femme et comme écrivain dans les trois textes dédiés de manière à peine cryptée à Missy, Mathilde de Morny, qui est son amante durant plusieurs années à partir de 1905. « Nuit blanche », «  Jour gris », « Le Dernier feu » s’apparentent tous trois à des poèmes d’amour en prose. Le premier texte évoque le lit « chaste, tout blanc, tout nu », refuge nocturne de « deux corps joints » : la volupté et la tendresse qui émanent de ce texte font de cette insomnie partagée l’une des plus belles pages écrites par Colette. Dans « Jour gris », l’humeur de la narratrice est plus maussade, mais ce texte est l’occasion d’évoquer le « pays qu’[elle a] quitté », le paradis perdu de l’enfance et qu’elle ne cessera d’explorer jusqu’à ses dernières œuvres. Les descriptions de paysages, de fleurs, de plantes qui sont faites dans ces textes convoquent tous les sens, et font entendre un jeu de synesthésies caractéristique de la langue de Colette. Des phrases sinueuses, généreuses, précises qui font impression sur le lecteur, mobilisant tous ses sens, le faisant voyager d’un univers sensoriel à l’autre comme dans ces phrases de « Dernier feu » : « L’iris dort, roulé en cornet sous une triple soie verdâtre, la pivoine perce la terre d’une raide branche de corail vif, et le rosier n’ose encore que des surgeons d’un marron rose, d’une vivante couleur de lombric… » De même, lorsque la narratrice décrit les bras de son amie Marthe, elle donne à voir, à caresser, à entendre, à croquer, à imaginer « des bras, clairs, luisants, dans lesquels on voudrait mordre et qui craqueraient, frais, acidulés et juteux sous la dent comme la criste-marine ».

Provenance

Cet article a été conçu dans le cadre de l'exposition Les Mondes de Colette, présentée à la BnF du 23 septembre 2025 au 18 janvier 2026.

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