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Colette et les femmes écrivaines

Portrait de Natalie Clifford Barney, femme de lettres, dit « L’Amazone »
Portrait de Natalie Clifford Barney, femme de lettres, dit « L’Amazone »

© Paris Musées

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On connaît fort peu les lectures de Colette : la légende veut que dans sa jeunesse seule l’œuvre de Balzac l’accompagna. Il est vrai que la sensibilité et l’écriture de Colette sont si singulières que Julie Kristeva a fait de l’écrivaine le « génie féminin » des lettres françaises. Colette a cependant étroitement épousé une époque où les écrivaines ont pris une nouvelle importance et l’ont profondément marquée, tout comme, elle aura contribué à l’essor et au rayonnement de la littérature au féminin.

À l’époque des Claudine, une Colette dans le monde

C’est autour de 1895 que Colette entre en littérature. Elle a vingt-deux ans, a gagné Paris, et son mari Henri Gauthier-Villard lui conseille d’écrire ses souvenirs d’écolière à Saint-Sauveur-en-Puisaye. Celui qu’on appelle Willy, hostile aux symbolistes comme aux naturalistes, appartient à un Paris mondain des lettres qui s’épanouit à l’écart des grands courants littéraires. Admirateur de Wagner, défenseur de la musique moderne, il s’illustre dans la critique musicale et entreprend de produire une littérature grand public qu’il fait exécuter par une équipe dévouée de prête-plumes. C’est donc au sein de la « fabrique Willy », sous la supervision de son instigateur, et comme écrivain fantôme, que Colette fait ses premières armes avec les Claudine. Le cycle romanesque, dont le nouveau type littéraire de l’adolescente campagnarde, effrontée, pleine de vie et qui s’éveille à la sexualité, tranche radicalement avec la noirceur des décadents fin-de-siècle, rencontre un succès immédiat et scandaleux. En 1909, Colette obtient que les Claudine soient signés « Willy et Colette Willy » ; depuis 1955, on trouve la double signature « Willy et Colette ».

Dans ce Paris Belle-Époque, la vie littéraire est animée par les revues et les salons. Le couple reçoit chez lui, rue de Courcelles, et fréquente les soirées et les dîners en vue. La personnalité fantasque de Colette, sa vivacité d’esprit, s’accordent aussitôt à ce monde d’apparat. Elle côtoie de célèbres femmes de lettres, telles Mme Arman de Cavaillet, l’un des modèles de Mme Verdurin dans À la recherche du temps perdu, qui reçoit Proust et que Colette ne fit que croiser, Anna de Noailles, qui deviendra une proche dès la parution en 1904 des Dialogues de bêtes, ainsi que la célèbre américaine Natalie Clifford Barney. Dans le salon cosmopolite de cette dernière, qui fait vivre le Tout-Paris lesbien, Colette rencontre les poétesses et romancières Renée Vivien, Liane de Pougy et Lucie Delarus-Mardrus, dont les œuvres, assez éloignées de sa sensibilité poétique, évoquent elles aussi les amours féminines qu’elles vivent ; chez la salonnière Jeanne Mühlfeld, animatrice de La Revue blanche, elle fait la connaissance de l’écrivaine Georgie Raoul-Duval avec qui elle a une brève liaison.

Portrait d'Anna de Noailles
Portrait d'Anna de Noailles |

Bibliothèque nationale de France

Dans cette période bien particulière, souvent appelée la « décennie saphique », on peut mesurer les accointances de Colette avec ce milieu mondain, sexuel et littéraire, en lisant Claudine en ménage (1902) :  on y retrouve Georgie Raoul-Duval sous les traits de Rézy Lambrook et les personnages du roman Idylle saphique de Liane de Pougy (1901) qui mettait en scène la relation amoureuse de l’écrivaine avec Natalie Clifford Barney. Vie et œuvre s’interpénètrent et lorsque Colette se séparera de Willy en 1906 ce sera pour se mettre en couple avec Missy (la duchesse Mathilde de Morny) et devenir célèbre comme artiste de music-hall.

C’est aussi à cette époque que la jeune Colette rencontre Rachilde, née Marguerite Eymery. De treize ans ans son aînée, cette romancière prolifique qui se disait « homme de lettres » est alors très influente. Elle anime les mardis de la revue symboliste Le Mercure de France, qu’elle co-dirige avec son mari Bernard Vallette. Celle qui fit sensation avec la publication censurée de son roman érotique Monsieur Vénus (1884) est l’une des premières à avoir reconnu l’originalité des Claudine. En dépit d’un imaginaire commun qui s’épanouit dans l’évocation provocatrice des amours interdites, et par la place donnée au monde animal, les deux romancières s’éloigneront à mesure que la notoriété de Colette grandira.

Critique de Claudine à Paris dans Le Mercure de France
Critique de Claudine à Paris dans Le Mercure de France |

Bibliothèque nationale de France

Portrait de Rachilde
Portrait de Rachilde |

Bibliothèque nationale de France

Des écrivaines, amies de toute une vie

Colette est plus intéressée par l’amitié que par la mondanité. C’est à l’écart des salons qu’elle va entretenir des liens amicaux durables avec les artistes, les écrivains, les journalistes de son temps. Parmi les femmes qui lui sont très proches, peu sont connues : on trouve les romancières Annie de Pène et sa fille Germaine Beaumont, ainsi que la poétesse Hélène Picard, la journaliste Renée Hamon et l’actrice Marguerite Moreno. Colette, qui est une grande épistolière, a entretenu une correspondance abondante et suivie avec ses amies à qui elle confie les affres d’un métier d’écrivain devenu incroyablement divers et prenant. Après une vie sur les planches qui se clôt par la naissance de sa fille, Bel-Gazou, en 1913, elle se consacre à l’écriture de romans, récits, contes et nouvelles, mais aussi d’articles de presse, dont les chroniques de guerre des Heures longues (1914-1917) ; elle s’affirme peu à peu comme critique dramatique et musicale ; adapte pour le théâtre ses romans à succès ; entreprend de rédiger des scénarios pour le cinéma.

À lire sa correspondance, on voit que Colette adresse continûment à ses amies des conseils en matière d’écriture : « Tu ne tiens pas encore le fil […]. Libère-toi », conseille-t-elle à Marguerite Moreno qui entreprend de rédiger ses mémoires en 1924, comme elle exhorte à la vérité et à l’intégrité Renée Hamon qui travaille en 1938 à un récit de voyage : « Ne peins que ce que tu as vu. Ne regarde jamais ce que tu n’aimes pas […] ».

Annie de Pène entre dans la vie de Colette en 1909 : toutes deux écrivent pour les revues culturelles en vogue, Akademos (l’une des premières revues homosexuelles) et Comœdia, et témoignent dans leurs romans de thématiques communes : La Vagabonde (1910), signé Colette Willy, et L’Évadée (1911) de Pène sont ce qu’on a pu appeler des « romans de vengeance » où les romancières offrent les clés de leurs mésaventures conjugales. En 1918, la grippe espagnole a raison d’Annie de Pène et Colette prend sa fille, Germaine Beaumont, sous son aile au Matin où elle devient sa secrétaire. Elle saura encourager le parcours de cette romancière qui, en 1930, est la première femme à recevoir pour son roman Piège le prix Renaudot et qui explorera par la suite la veine du roman policier. Quant à la poétesse Hélène Picard, Colette fait sa connaissance après-guerre, quand elle s’installe à Paris, alors que son recueil L’Instant éternel a reçu en 1907 le prix de l’Académie française.

À mesure que, dans l’entre-deux-guerres, Colette prend de l’importance dans le champ littéraire, elle soutient étroitement la carrière de ses amies en les publiant au sein des rubriques de presse qu’elle dirige, en les intégrant à la « Collection Colette » de littérature contemporaine qu’elle crée pour les éditions Ferenzci (il est à noter que sur vingt ouvrages parus, entre 1923 et 1925, six sont écrits par des femmes), en préfaçant leurs ouvrages. Elle aura également à cœur d’honorer leur mémoire : lorsque Hélène Picard meurt en 1945, Colette écrit un long hommage dans La Revue de Paris, mettant en valeur la personnalité et les vers de son amie.

Pour Hélène Picard
Pour Hélène Picard |

Bibliothèque nationale de France

Une reconnaissance de ses pairs féminins en demi-teinte

1945 est aussi la date où Colette entre à l’Académie Goncourt ; en 1949, elle la présidera. L’après-guerre ouvre une période où, après avoir fait scandale, l’œuvre de Colette devient un classique et sa personnalité une figure officielle des lettres. Toutefois, dans les années 1950, l’approbation des écrivaines à son égard est loin d’être unanime. Il faut dire que beaucoup des autrices proches de Colette se sont ouvertement employées à ne pas se dire « féministes ». Si Rachilde, Anna de Noailles, Lucie Delarue-Mardrus ou encore Gérard d’Houville (née Marie de Hérédia) se sont jouées de l’identité de genre, elles n’ont jamais œuvré pour l’émancipation sociale des femmes. On voit que dans la génération suivante, ni Sarraute, ni Yourcenar, ni Leduc, ni Duras n’ont célébrée Colette. D’une manière quelque peu paradoxale, c’est Simone de Beauvoir, la grande figure du féminisme français des années 1960-70, qui dès 1949 lui rend hommage à travers Le Deuxième Sexe. Dans ce manifeste, elle fait du roman de Colette la matière féconde d’une étude de la psychologie et de la sexualisation féminines et salue le professionnalisme d’une écrivaine qui a su façonner sa renommée. Elle avait écrit à Nelson Algren en 1948 qu’il y avait là « en France le seul grand écrivain femme, […] un véritable grand écrivain ». Colette est devenue ce grantécrivain et la seule femme écrivain qui, à ce jour, a eu droit en 1954 à des funérailles nationales. En 1963, rejoignant ses contemporaines, Beauvoir nuancera son enthousiasme dans La Force des choses.

Provenance

Cet article a été conçu dans le cadre de l'exposition Les Mondes de Colette, présentée à la BnF du 23 septembre 2025 au 18 janvier 2026.

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