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Parcours pédagogique

Jules César, dernier républicain ou premier empereur ?

Enseigner les langues et cultures de l'Antiquité par les textes et les monnaies
Par Maxime Cambreling, professeur de lettres classiques
15 min de lecture
Denier de César
Figure incontournable du 1er siècle avant notre ère, Caius Iulius Caesar est souvent (et à tort) considéré comme un empereur romain. Il est néanmoins, pour Suétone, le premier des « Césars ». Homme de la République et de ses intrigues, alliances, rivalités… il se retrouve aussi dictateur à vie, seul au pouvoir, et se fait assassiner par crainte d’un retour des rois.
Se pencher sur la figure de Jules César, à travers les textes et les monnaies, c’est essayer de comprendre cette époque de guerres civiles qui n’est plus vraiment la République mais pas encore l’Empire et que les numismates anglophones ont pu qualifier de imperatorial period (période des imperatores).
Autour de textes antiques et avec des éclairages numismatique et glyptique, ce parcours propose d’explorer la vie et la personnalité de César dans le cadre d’une séquence de LCA autour du thème « De la république au principat » au programme de la 3e.
Chacun pourra selon ses besoins, ses élèves, son temps, ses envies choisir parmi ces sources littéraires et iconographiques, de quoi nourrir sa propre séquence et prolonger la réflexion avec des monnaies, célèbres pour certaines, méconnues pour d’autres.
Les ressources pour réaliser l'activité

Dans cet extrait de la « Vie de César » dans la Vie des Douze Césars de Suétone, César fait sa propre généalogie en établissant celle de sa tante paternelle. Il rappelle ainsi que sa famille descend d’une ancienne famille plébéienne, les Marcius Rex, qui faisaient remonter leur origine aux rois légendaires de Rome et en particulier à Ancus Marcius, quatrième roi de Rome commémoré comme bâtisseur et fondateur du port d’Ostie, lui-même petit-fils de Numa Pompilius, très pieux deuxième roi de Rome.

César présente aussi ce dont les monnaies gardent davantage la trace : la gens Iulia, famille patricienne qui faisait remonter son origine à Iule, fils d’Énée et petit-fils de Vénus. César se targue donc de descendre des Dieux et des Rois, selon la belle formule sanctitas regum, qui plurimum inter homines pollent, et caerimonia deorum, quorum ipsi in potestate sunt reges la majesté des rois, qui sont les maîtres des hommes, et la sainteté des dieux, qui sont les maîtres des rois eux-mêmes »).

On peut, avec les élèves, analyser et traduire en « petit latin » le passage en gras, et en particulier observer les constructions avec « a/ab + ablatif » pour indiquer l’origine :

  • ab regibus ortum : est issue des rois

  • ab Anco Marcio : d'Ancus Marcius

  • a Venere Iulii : de Vénus descendent les Iulii

La gens Marcia a pu faire référence à ses origines royales sur des monnaies, comme le montre l'exemple du denier de Caius Marcius Censorinus où sont représentées les têtes de Numa Pompilius et d'Ancus Marcius. Mais en numismatique – et dans les arts en général – , César fait bien davantage référence à Vénus sous la protection de qui il se place, consacrant ainsi par exemple un temple à Venus Genitrix [génitrice de la gens Julia] sur son forum. Sur le denier de 47-46 av. J.-C., l’avers figure Vénus et le revers son fils Énée.

Ce thème de la fuite de Troie, avec Énée portant son père Anchise et le Palladion (qui était conservé à Rome, dans le temple de Vesta, à l’époque de César) est aussi fréquent en glyptique (art des pierres dures), comme sur l’intaille du 1er siècle avant notre ère en sardonyx, où s’ajoute encore Ascagne/Iule, ancêtre éponyme de la gens de César. Cette composition avec le Palladion porté par Anchise et l’enfant dans les jambes du héros a été reprise par le Bernin dans sa célèbre statue de la villa Borghèse.

Les ressources pour réaliser l'activité

Celui que l’on appelle communément César serait né vers 100 avant notre ère, dans la gens Iulia. Il a pour tria nomina Caius Iulius Caesar. Mais il n’est pas le premier Iulius surnommé Caesar : il y eut avant lui trois autres Caius Iulius Caesar.

Le cognomen (surnom) remonte au moins au 3e siècle avant J.-C., avec Sextus Julius Caesar, préteur en Sicile en 208 avant notre ère ; il était devenu héréditaire et fut ainsi porté par le grand-père et le père de Jules César lui-même.

Le texte de l’Histoire auguste propose cinq étymologies que l’on peut analyser avec les élèves afin de réfléchir à leur crédibilité respective :

  • le punique caesai qui signifierait « éléphant ».
    Objection : pourquoi un Romain emploierait-il un mot d’une langue étrangère ?
  • le verbe caedo qui signifie « tuer, abattre (du tranchant d’une lame) » parce qu’il aurait tué un éléphant
    Voir la définition dans le Gaffiot en ligne
    Hypothèse possible, qui irait dans le même sens que le denier à l’éléphant
  • le verbe caedo toujours, sous sa forme caesus, dans son sens de « couper » pour indiquer une naissance par césarienne.
    Voir la définition dans le Gaffiot en ligne
    Si cette étymologie est aujourd’hui bien connue, elle est battue en brèche par le fait que ce surnom était héréditaire : Jules César n’est pas né par césarienne (mais peut-être un de ses lointains ancêtres ?).
  • le nom caesaries signifiant « chevelure », indiquant que le premier Caesar serait né avec beaucoup de cheveux.
    Voir la définition dans le Gaffiot en ligne
    Hypothèse possible, mais qui s’éloigne du mot caesar : c’est caesariatus qui signifie « chevelu ».
  • l’adjectif caesius signifiant « pers, tirant sur le vert » en parlant d’yeux.
    Voir la définition dans le Gaffiot en ligne
    Hypothèse ici aussi possible, mais éloignée du mot “caesar”.
Les ressources pour réaliser l'activité

Le texte de Florus permet d’aborder l’origine et le fonctionnement du premier triumvirat, qui vit l’alliance de César, Pompée et Crassus pour diriger à eux-seuls l'État. Il explique aussi pour quelles raisons leurs rivalités y mirent fin.

Trois passages peuvent être analysés et traduits, à l’aide du vocabulaire suivant :

Sic igitur Caesare dignitatem comparare, Crasso augere, Pompeio retinere cupientibus, omnibusque pariter potentia cupidis, de inuadenda re publica facile conuenit.

  • sīc : ains
  • ĭgĭtŭr : donc
  • dīgnĭtās, -atis, f. : le prestige
  • cōmpăro, -as, -are : (se) procurer
  • āugĕo, -es, -ere, auxi, auctum : augmenter
  • rĕtĭnĕo, -es, -ere, -ui, -tentum : maintenir
  • cŭpĭēns, -entis : désireux
  • ōmnĭs, -e : tout
  • părĭtĕr : également
  • pŏtēntĭa, -ae, f. : le pouvoir
  • cŭpĭdus, -a, -um : qui désire
  • īnvādo, -is, -ere, -uasi, -uasum : (se) saisir, s’emparer
  • rēs publica : l’État, la République
  • făcĭlĕ : facilement
  • cōnvĕnĭo, -is, -ire, -ueni, -uentum : convenir

Decem annos traxit ista dominatio, quia mutuo metu tenebantur.

  • dĕcĕm : dix
  • ānnus, -i, m. : année
  • trăho, -is, -ere, traxi, tractum : prolonger, durer
  • īstĕ, -a, -ud : ce
  • dŏmĭnātĭō̆, -onis, f. : domination, souveraineté, pouvoir absolu
  • quĭă : parce que
  • mĕtus, -us, m. : peur, crainte
  • tĕnĕo, -es, -ere, -ui, tentum : retenir, lier

Nec hic ferebat parem, nec ille superiorem.

  • nĕc : (et ne ...) pas, ni
  • hīc, haec, hoc : celui-ci
  • fĕro, fers, ferre, tuli, latum : supporter
  • pār, păris, m. : un semblable, un égal, un pair
  • īllĕ, illa, illud : celui-là
  • sŭpĕrĭŏr, -oris, m : un supérieur

L’extrait de Florus (1er / 2e siècles) montre bien l’équilibre fragile de l’association de César, Crassus et Pompée : les ambitions respectives auront empêché ce triumvirat d’être pérenne. Une fois Crassus éliminé par les Parthes après la bataille de Carrhes (53 av. J.-C.), l’opposition de Pompée (puis de ses fils et partisans) et de César marquera fortement la fin de la République. Pompée fut exécuté par Ptolémée XIII (qui pensait à tort faire plaisir à César) en 48 av. J.-C., laissant César sans rival (malgré les résistances du parti pompéien) jusqu’à sa mort.

Des monnaies du parti pompéien glorifient les portraits (posthumes) de leur figure emblématique : Pompée, reconnaissable à la mèche (anastole) au-dessus de son front, et à son visage rond et au menton peu marqué. Les portraits de Pompée (et ceux attribués à Crassus ou à César) sont empreints de vérisme : la période républicaine aimait accentuer les défauts physiques pour donner plus de dignité. Mais ils résonnent aussi d’un certain pathos héllenistique, avec des ombres marquées et une expression un peu tendue.

Les ressources pour réaliser l'activité

Entre 58 et 50 avant notre ère, Jules César conquiert les Gaules, fait d’armes censé assurer sa gloire et sa richesse, face à Crassus et Pompée. César lui-même, au fur et à mesure de la conquête, raconte la guerre pour établir sa réputation à Rome, dans le célèbre De Bello Gallico.

On pourra comparer avec les élèves le début, iconique, de l'ouvrage dans différentes traductions, et réfléchir à la réputation de « pureté » de la langue de César. On pourra aussi observer avec les élèves les variations dans la construction de ces différentes traductions. La dernière, plus littérale, n’est pas d’une grande élégance. Les deux autres, plus claires en français, s’éloignent du latin. On pourra discuter des objectifs souvent difficiles à concilier de l’acte de traduction, et du caractère irremplaçable de la fréquentation de l’original.

Des deniers à l’iconographie évoquant la guerre des Gaules ont été frappés à l’époque césarienne, surtout dans la perspective de son quadruple triomphe de 46 av. J.-C., et ont contribué à la propagation de clichés sur les Gaulois : hirsutes, barbus, avec des carnyx.

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César, bien que seul au pouvoir, voulut absolument célébrer un triomphe... et même un quadruple triomphe, commémorant ses victoires de Gaule, d'Égypte, du Pont et d’Espagne.

Les sources antiques font remonter à ce triomphe le célèbre Veni, vidi, vici, inscrit sur un panneau célébrant la victoire sur Pharnace II du Pont. Cette guerre fut si rapide que César la résuma à cette formule lapidaire, à la percutante paronomase devenue célèbre.

On peut, avec les élèves, élaborer une comparaison du triomphe de César par Suétone, du camée de Licinius et de l’intaille de Louis XV pour mesurer la permanence des formes, et prolonger la réflexion jusqu’aux arcs de Triomphe (Paris, Berlin…) et aux parades militaires d’aujourd’hui. On pourra ainsi construire un tableau à double entrée pour comparer plusieurs représentations de triomphes au fil du temps, en relevant les éléments caractéristiques de chacun : couronne de laurier, quadrige, enseignes militaires...

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Après ses triomphes, César a obtenu le droit exceptionnel de porter en permanence sa couronne de lauriers de triomphateur. Il en était ravi : cela permettait de cacher la calvitie qui le complexait.

À cette époque aussi on commence à trouver des portraits de César sur ses monnaies, où il arbore la désormais célèbre couronne. En revanche, il est plus difficile de trouver un portrait sculpté indiscutablement de son vivant. Même le célèbre portrait d’Arles, retrouvé en 2007 dans le Rhône par une équipe archéologique, reste discuté.

Il se fait aussi nommer par le Sénat dictateur à vie (dictator perpetuus) en janvier-février 44 av. J.-C. Couronné, représenté de son vivant sur les monnaies, avec tous les pouvoirs à vie… Cette République ressemblait de plus en plus à une monarchie.

On peut, avec les élèves, chercher à traduire la dernière phrase de l’extrait de Suétone, avec cet avertissement mystérieux de Sylla :

Sullae dictum optimates saepius admonentis, ut male praecinctum puerum cauerent.

  • Sūlla, -ae, m. : Sylla
  • dīctŭm, -i, n. : parole
  • ōptĭmās, -ātis, m. : optimate (du parti du sénat, conservateur et aristocratique), aristocrate
  • sāepĕ : souvent
  • ādmŏnĕo, -es, -ere, -monui, -monitum : avertir
  • ŭt : que
  • mălē : mal
  • prāecīnctus, -a, -um : vêtu
  • pŭĕr, -eri, m. : enfant
  • căvĕo, -es, -ere, caui, cautum : faire attention
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César, dictateur à vie, était de plus en plus vu comme un roi. Or, la République s’était construite contre les rois, Brutus l’Ancien et Collatinus chassant Tarquin le Superbe et ses fils. Aussi les conjurés se sont-ils appuyés sur un autre Brutus, Marcus Junius Brutus, et Cassius, pour libérer Rome de son nouveau monarque.

Malgré des avertissements et des présages reçus par César, l’assassinat eut lieu à la Curie de Pompée, comme un clin d’oeil du destin, aux ides de mars 44 av. J.-C. (15 mars). S’ensuivit une période de guerre civile où les héritiers de César (Marc-Antoine, Octave) affrontèrent ses assassins (Brutus, Cassius), chacun prétendant sauver la République.

Les dernières paroles de César

Chez Shakespeare (Jues César, 1623, III, 1), on trouve « Et tu, Brute! », chez l’abbé Lhomond (De viris illustribus, 1775) « Tu quoque fili mi ! ». Mais les sources antiques (Suétone et Dion Cassius) prêtent à César des derniers mots en grec : « καὶ σὺ τέκνον »

On pourra, avec les élèves, analyser les différences de construction et les nuances entre ces versions. Shakespeare, avec son vocatif, nomme simplement Brutus. L’abbé Lhomond ajoute la notion de « fils » qu’il a perçue chez les auteurs antiques avec l’emploi de τέκνον. Mais le mot grec peut aussi se traduire par « mon garçon », « mon petit », sans forcément de référence filiale qui n’existait pas entre César et Brutus. On pourra, ainsi, essayer de lutter contre une idée reçue véhiculée par la culture populaire qui fait de Brutus un fils adoptif ou illégitime de César.

On peut aussi, avec les élèves, expliquer l’emploi de la langue grecque au sein de l’aristocratie romaine.

Les ressources pour réaliser l'activité

Le passage du Pseudo-Aurelius Victor, simple et synthétique, se prête bien à la traduction avec les élèves.

On pourra comparer l’étymologie de « comète » (du latin cometa que l’on fait venir de comata, « chevelue ») avec les termes de Suétone : stella crinata. On observera aussi comment Octave-Auguste construit sa propagande en s’appuyant sur l’héritage césarien, en particulier sur les monnaies, largement diffusées (évolution des noms, des titres, revendication de la divinité de César…)

S’il ne fut pas empereur, Jules César leur a préparé la voie. Les empereurs romains ont porté le titre de caesar passé dans l’allemand Kaiser et le russe Tsar (царь). Cesare Borgia, au 16e siècle, manifesta son ambition dans une devise que n’aurait pas reniée Jules César : Aut caesar, aut nihil.

Dans une autre séquence, on pourra montrer comment, si César a mis fin à la République, Auguste et son principat posent les bases de l’Empire en marchant sur les traces de son père adoptif en évitant de reproduire les mêmes erreurs que son illustre prédécesseur.

Pour aller plus loin