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Parcours pédagogique

Devenir un dieu

Apothéoses impériales à l'époque romaine
Par Maxime Cambreling, professeur de lettres classiques
15 min de lecture
Camée à l'apothéose de Claude
La pratique de l’apothéose de certains membres de la famille impériale est fréquente dans l'antiquité romaine. Elle ne choque pas, dans ce monde où les dieux peuvent mourir, où les héros peuvent être divinisés, et où le stoïcisme, cher aux Romains, se donne le divin comme horizon des Hommes. Dans les monnaies, cette pratique se traduit par la légende CONSECRATIO ou le titre de DIVVS pour l’empereur.
Dans le cadre d’une séquence de LCA en première, autour du thème « les dieux dans la cité », ou de quatrième/troisième, autour du thème « l’Empire romain », ce parcours propose des pistes textuelles (littéraires, épigraphiques, de la période classique à l’antiquité tardive) et iconographiques (numismatiques et glyptiques pour l’essentiel) pour nourrir les interrogations autour du passage de l’humain au divin à l’époque romaine, depuis Romulus jusqu’au triomphe du christianisme. Il s'arrête également sur le statut complexe et surhumain de l’empereur, chez qui s’entremêlent sa personne, son génie et ses Lares.
Les ressources pour réaliser l'activité

Le premier souverain des Romains fut aussi le premier à être admis au nombre des dieux. Il était certes de sang divin, mais son apothéose a surpris ses contemporains. Célébré sous le nom de Quirinus depuis une époque reculée, il disposait d’un flamine majeur, de fêtes importantes, les Quirinalia, et fit partie à l’origine de la Triade Capitoline.

Des statues existent dans le monde romain, comme à Pompei, où une base de statue trouvée dans l’édifice d’Eumachia sur le forum rappelle les grands faits de Romulus/Quirinus. On peut, avec les élèves, procéder à l’analyse et la traduction de l’inscription de cette base, clairement construite, facile à comprendre, mais difficile à traduire avec élégance. On pourra avec les élèves réfléchir à l’efficacité « lapidaire » (terme dont on peut explorer l’étymologie) des textes épigraphiques.

Romulus Martis filius urbem Romam condidit et regnavit annos duodequadraginta. Isque primus dux duce hostium Acrone rege Caeninensium interfecto spolia opima Jovi feretrio consecravit receptusque in deorum numerum Quirinus appellatus est.
« Romulus, fils de Mars, fonda la ville de Rome et régna 42 ans, chef de guerre il consacra le premier à Jupiter Férétrien les dépouilles opimes prises à Acron, roi des Caeniniens qu’il tua et chef de l’armée des ennemis, et reçu au nombre des dieux, il fut appelé Quirinus. »

On peut aussi, avec les élèves, faire traduire ce passage chez Tite-Live, afin de lancer une réflexion sur la sincérité de la croyance des Romains en leurs dieux : le scepticisme était permis.

Fuisse credo tum quoque aliquos, qui discerptum regem patrum manibus taciti arguerent; manauit enim haec quoque, sed perobscura fama; illam alteram admiratio uiri et pauor praesens nobilitauit. Et consilio etiam unius hominis addita rei dicitur fides.
« Je suppose qu'il ne manqua pas alors de gens qui accusèrent tout bas les sénateurs d'avoir déchiré Romulus de leurs propres mains ; le bruit même s'en répandit, mais n'acquit jamais beaucoup de consistance. Cependant l'admiration qu'il inspirait, et la terreur du moment, ont consacré le merveilleux de la première tradition. On ajoute que la révélation d'un citoyen vint fortifier encore cette croyance. »

On pourra s’aider du vocabulaire suivant:

  • dīscērpo, -is, -ere, -cerpsi, -cerptum : déchirer, mettre en pièces
  • pătĕr, -tris, m. : (Patres Conscripti) sénateurs
  • mănŭs, -us, f. : main
  • tăcĭtum, -i, n. : secret, silence
  • ārgŭo, -is, -ere, -ui, -utum : montrer, prouver, dénoncer
  • māno, -as, -are : se répandre
  • pĕrōbscūrus, -a, -um : très obscur
  • nōbĭlĭto, -as, -are : faire connaître, rendre fameux (qqn ou qqch)
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L’apparition d’une comète avait rendu évidente l’apothéose de César. Fort logiquement après un règne si long et si fondateur, Auguste fut aussi divinisé, avec Livie comme prêtresse. Mais le Prince avait été assez prudent pour instaurer un culte pour son génie (puissance divine dont dispose chaque personne, et même de nombreux concepts abstraits comme le Peuple Romain) et non un culte de sa personne.

Ensuite, c’est Claude qui fut divinisé, à sa mort en 54, grâce à l’action d’Agrippine et de Néron. Cette décision, pour un empereur souvent moqué de son vivant pour sa claudication, son bégaiement, son intérêt pour les antiquités étrusques, et sa naissance très provinciale à Lyon, a surpris et entraîné des réactions amusées et amusantes.

C’est dans ce contexte que fut écrit un court texte, parodique et satirique, relevant des satires ménippées, mêlant prose et vers. On attribue à Sénèque cette oeuvre connue sous le nom d’Apocoloquintose du Divin Claude (Ἀποκολοκύνθωσις, littéralement « citrouillification », jeu de mots avec ἀποθέωσις, « apothéose »), dans laquelle l’âme de Claude gagne l’Olympe mais fait face à la perplexité et aux moqueries des dieux qui se demandent quoi faire de cet empereur devenu dieu.

On pourra, avec les élèves, chercher dans les textes latin et français les éléments satiriques, sur lesquels s’appuie Sénèque pour faire de Claude un portrait ridicule.

Après Néron, Vespasien s’amusera de cette tendance, un peu automatique et courtisane, à l’apothéose de l’empereur défunt, comme le rapporte Suétone.

Prima quoque morbi accessione: "Vae", inquit, "puto, deus fio".
« Dès le commencement de sa maladie, il se mit à dire: "Malheur ! Je crois que je deviens dieu". »
Suétone, Vie des douze Césars, « Vie de Vespasien », XXIII : texte latin ; traduction française

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Les arts de l’époque d’Hadrien regorgent de représentations d’un jeune homme au menton fort, au nez à la grecque, à la bouche charnue, à la moue boudeuse, et aux cheveux bouclés : il s’agit d’Antinoüs (aussi écrit Antinoos), compagnon d’Hadrien, mort d’une noyade accidentelle en 130.

Inconsolable, Hadrien a fait diviniser ce jeune homme d’une vingtaine d’années originaire de Bithynie. Sans doute espérait-il ainsi lui offrir un peu d’éternité. On a là le premier exemple d’une apothéose qui n’est pas celle de l’empereur, mais celle voulue par l’empereur.

Les signes de la divinité peuvent varier selon les régions : il est héros mais coiffé d’une couronne divine en Égypte, il est dieu (théôn) dans sa province de Bithynie.

Seuls les monnayages provinciaux représentent Antinoüs (pas les monnaies impériales). Sans doute la religiosité du monde oriental acceptait-elle mieux l’apothéose d’un simple compagnon de l’empereur. À moins que ce ne soit pour s’attirer les faveurs de l’empereur en voyage.

On pourra, avec les élèves, explorer dans le texte latin de l’Histoire Auguste le champ lexical de l’amour et de la tristesse et faire remarquer les tendances sexistes et homophobes de l’ouvrage qui daterait de la fin du 4e siècle, à une époque où l’horizon intellectuel était loin du philhellénisme de l’époque d’Hadrien.

On pourra aussi explorer la construction de consecratio, action de rendre sacer, sacré, au contraire de profane (relevant du monde des Hommes). On est loin de notre contemporaine « consécration ».

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Antonin (régnant de 138 à 161), fut surnommé « le pieux », tant sa piété était manifeste. Cette pietas était une qualité fondamentale pour les Romains. Aussi, quand il perdit sa femme Faustine, en 141, elle fut divinisée par le Sénat. Il connut le même sort vingt ans plus tard, à sa mort.

Le temple d’Antonin et Faustine est un des monuments les plus célèbres du Forum Romanum. On pourra, avec les élèves, le localiser sur le Forum, et chercher l’emplacement d’autres temples de divinisés (temple de César, temple de Vespasien, temple de Romulus fils de Maxence).

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Lactance, auteur chrétien de l’Antiquité tardive, s’interroge sur la mythologie gréco-romaine. Comme Fulgence dans ses Mythologies, il cherche une explication à la religion païenne. Aussi va-t-il chercher un auteur grec du 3e siècle av. J.-C., Évhémère, selon lequel les dieux ne sont autres que des humains extraordinaires devenus des dieux en raison de leurs exploits.

Dès l’Antiquité, la postérité a fait d’Évhémère un impie, voire un athée, selon lequel les dieux n’existeraient pas et ne seraient que le résultat de l’adoration d’humains hors du commun. On pourra, avec les élèves, s’interroger sur ce renversement : si des Hommes peuvent être faits dieux avec une consécration, et si les dieux n’étaient autres que des Hommes ? Faut-il qu’il y ait des Hommes pour qu’il y ait des Dieux ?

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