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Extrait

Sénèque raconte l'arrivée peu glorieuse de Claude sur l'Olympe

Sénèque, Apocoloquintose, V et VI, 54-55 ap. J.-C.

V. [...] Nuntiatur Ioui uenisse quendam bonae staturae, bene canum; nescio quid illum minari, assidue enim caput mouere; pedem dextrum trahere. Quaesisse se cuius nationis esset: respondisse nescio quid perturbato sono et uoce confusa; non intellegere se linguam eius: nec Graecum esse nec Romanum nec ullius gentis notae. Tum Iuppiter Herculem, qui totum orbem terrarum pererrauerat et nosse uidebatur omnes nationes, iubet ire et explorare quorum hominum esset. Tum Hercules primo aspectu sane perturbatus est, ut qui etiam non omnia monstra timuerit: ut uidit noui generis faciem, insolitum incessum, uocem nullius terrestris animalis sed qualis esse marinis beluis solet, raucam et implicatam, putauit sibi tertium decimum laborem uenisse. Diligentius intuenti uisus est quasi homo. Accessit itaque et quod facillimum fuit Graeculo, ait: tis pothen eis andrôn, poiê polis êde tokêes ? Claudius gaudet esse illic philologos homines: sperat futurum aliquem historiis suis locum. Itaque et ipse Homerico uersu Caesarem se esse significans ait: Iliothen me pherôn anemos Kikonessi pelassen. Erat autem sequens uersus uerior, aeque Homericus: entha d'egô polin eprathon, ôlesa d'autous.

VI. Et imposuerat Herculi minime uafro, nisi fuisset illic Febris, quae fano suo relicto sola cum illo uenerat: ceteros omnes deos Romae reliquerat. 'Iste' inquit 'mera mendacia narrat. Ego tibi dico, quae cum illo tot annis uixi: Luguduni natus est, Munati municipem uides. Quod tibi narro, ad sextum decimum lapidem natus est a Vienna, Gallus germanus. Itaque, quod Gallum facere oportebat, Romam cepit. Hunc ego tibi recipio Luguduni natum, ubi Licinus multis annis regnauit. Tu autem, qui plura loca calcasti quam ullus mulio perpetuarius, Lugudunenses scire debes et multa milia inter Xanthum et Rhodanum interesse. Excandescit hoc loco Claudius et quanto potest murmure irascitur. Quid diceret nemo intellegebat. Ille autem Febrim duci iubebat illo gestu solutae manus, et ad hoc unum satis firmae, quo decollare homines solebat. Iusserat illi collum praecidi: putares omnes illius esse libertos, adeo illum nemo curabat.

V. [...] On annonce à Jupiter l'arrivée d'un quidam de bonne taille, ayant les cheveux d'un blanc parfait et une sorte d'allure menaçante, car il branle continuellement la tête et traîne le pied droit. On lui a demandé de quelle nation il est ; il a répondu on ne sait quoi en bredouillant et d'une voix inarticulée. On ne comprend pas son jargon qui n'est ni grec, ni romain, ni d'aucune nation connue.

Alors Jupiter donna l'ordre à Hercule qui, ayant parcouru toute la terre, était censé connaître tous les peuples, d'aller voir et d'examiner de quelle race il était. Or donc Hercule, au premier aspect, éprouva un trouble réel en homme qui n'aurait pas dompté encore tous les monstres. Il vit cette face d'espèce nouvelle, cette démarche insolite, il ouït cette voix qui n'appartenait à aucun animal terrestre, qui n'était, comme chez les monstres marins, qu'un rauque et sourd grognement, et il pensa que le treizième de ses travaux lui tombait sur les bras. En y regardant mieux, il crut démêler quelque chose d'un homme. Il s'approcha donc et, chose facile à un roitelet grec, il débita ce vers d'Homère : « Quel es-tu ? D'où viens-tu ? De quel pays es-tu ? »

À ce langage, Claude est tout joyeux qu'il y ait là des gens lettrés : il espère qu'il va trouver à placer ses histoires.Et il réplique par ce vers du même poète, qui voulait dire je suis César : « Les vents m'ont amené des rivages troyen. »

Mais le vers suivant, Homérique aussi, eût été plus vrai :  « Dont j'ai détruit les murs, tué les citoyens. »

VI. Or il en aurait imposé à Hercule, fort peu malin, n'eût été la Fièvre qui seule, désertant son temple, accompagnait Claude ; elle avait laissé tous les autres dieux à Rome. « Cet homme, dit-elle, te conte de pures menteries. Je te dirai, moi qui ai vécu tant d'années avec lui, qu'il est natif de Lyon. Tu vois un bourgeois du municipe de Plancus. Comme je te l'annonce, c'est à seize milles de Vienne qu'il est né : il est franc Gaulois. Aussi, comme un bon Gaulois devait faire, il a pris Rome. Oui, je te le garantis né à Lyon où Licinius a fait le roi nombre d'années. Toi, Hercule, qui as plus battu de pays qu'un muletier qui ne débride jamais, tu dois savoir ton Lyonnais par cœur, et qu'il y a bien des milles entre le Xanthe et le Rhône. »

Ici Claude se fâcha tout rouge et poussa du mieux qu'il le put un grognement de colère. Que disait-il ? Impossible de le comprendre. Du reste, il faisait signe qu'on menât la Fièvre au supplice en levant sa main disloquée, mais assez ferme pour ce geste seul, son geste d'habitude, qui faisait décoller un homme. Il ordonnait donc que l'on coupât le cou à la Fièvre ; mais on eût dit qu'il n'y avait là que ses affranchis, tant nul ne se souciait de ses ordres.

Latin : Michel Dubuisson (éd.), Apothéose satirique du divin Claude, Bibliotheca Classica Selecta, 1999 : http://bcs.fltr.ucl.ac.be/Apo/apoco1.html
Traduction : J. Baillard, Oeuvres complètes de Sénèque le philosophe, t. I, Paris : Hachette, 1861, p. 270.
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