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Parcours pédagogique

De la Monarchie à la République romaine : un âge des héros entre histoire et légende

Enseigner les langues et cultures de l'Antiquité par les textes et les monnaies
Par Maxime Cambreling, professeur de lettres classiques
10 min de lecture
Denier de Caius Minucius Augurinus
Cette sélection de textes et d’images, souvent monétaires, permet d'aborder l’histoire légendaire de Rome, en particulier la fin de l’époque de la royauté et les balbutiements de la république. Elle ouvre une réflexion sur ce qui a motivé ce changement d’organisation politique, sur ce que les auteurs et monnaies postérieurs ont mis en scène de cette époque, et sur les valeurs auxquelles prétendaient les Romains.
L'ensemble de ces épisodes que les Romains considéraient comme de l'Histoire nous apparaissent maintenant comme des mythes. Ces textes peuvent donc être abordés pour étudier quelques versions de ces épisodes de « mythistoire », mais aussi pour pratiquer une observation raisonnée de la langue latine (syntaxe, morphologie, prolongements étymologiques).
Les monnaies qui accompagnent les textes permettent de découvrir le riche corpus d’images offert par la numismatique romaine. Elles peuvent servir d’illustrations, mais interrogent aussi quant au sens qu’elles ont revêtu au moment de leur émission.
Enfin, ce thème permettra de réfléchir à l’idée de république, et de comparer celle des Romains aux nôtres.
Ce dossier peut être utilisé dans son intégralité ou par extraits. Il peut servir d’appoint antique pour une séquence de français en 5e sur le thème « héros/héroïnes et héroïsme ». Enfin, complété d’étude de la langue, de rituels d’analyse, de traduction, de mise en activité des élèves, il peut constituer l’ossature d’une séquence de LCA-latin en 5e sur le thème de la naissance de la République.
Les ressources pour réaliser l'activité

Haec est prima aetas populi romani, et quasi infantia

Voilà le premier âge du peuple romain, et comme son enfance (Florus, VIII)

Fondée selon la légende en -753, Rome aurait été dirigée pendant ses 250 premières années par des rois.

L’étude du premier extrait, provenant du Liber memorialis d'Ampelius, permet de présenter les sept rois de Rome et d’observer ce que l’histoire légendaire a retenu de leur règne : lesquels sont commémorés comme législateurs (Ancus Marcius, Servius Tullius, Tarquin l’Ancien), pieux (Numa) ou guerriers (Romulus, Tullus Hostilius). Leur règne peut être réduit à une phrase : ils sont légendaires, on sait peu de leur action, mais ils sont commémorés pour avoir chacun contribué aux débuts de Rome.

Le rapprochement de « Superbus » et de « superbiam » permet aussi d’expliquer la signification de « superbe » dans Tarquin le Superbe, éloignée de l’acception principale contemporaine.

Enfin, l’étude de la forme du texte, en particulière sa brièveté et sa synthèse, permet de présenter le Liber Memorialis et le métier des enseignants comme Ampélius dans l’Antiquité. Le Liber Memorialis, ou Aide mémoire, est en effet un ouvrage pédagogique, sorte de manuel scolaire écrit à la fin du règne de Marc-Aurèle et traitant d'astronomie, de géographie et d'histoire. Presque rien n'est connu de son auteur, Lucius Ampelius, si ce n'est qu'il devait être un tuteur ou un enseignant.

La comparaison du texte et de la monnaie, qui figure un sacrifice avec autel et lituus (bâton recourbé des augures), permet d’illustrer le caractère très pieux de Numa tel que l’a commémoré la République romaine.

De Tarquinio superbo

Au sujet de Tarquin de le Superbe

Le second texte (« Tarquin le Superbe ») permet quelques observations de morphologie verbale simple : la marque de la troisième personne en « -t » (et éventuellement remarquer des différences dans les temps). Un rapprochement peut être effectué avec le français et les langues latines.

Il permet aussi d’étudier les trois sacrilèges de Tarquin le Superbe, tels que Georges Dumézil les a qualifiés (« Les trois péchés des Tarquins, père et fils » in Le roman des jumeaux et autres essais, Paris : Gallimard, 1994, p. 271-277) : le parjure, la fourberie, le crime sexuel (commis par son fils), que l’on retrouve dans beaucoup de mythologies (Shishupala en Inde, Heraklès en Grèce, Starkadr en Scandinavie). La fin de l’extrait permet d’annoncer le viol de Lucrèce. L'évocation de cet événement peut être complétée par l'étude du texte de Tite Live (en français) et/ou par celle de la monnaie de la gens Lucretia.

Le denier de Petillius Capitolinus offre quant à lui un aperçu d'un autre aspect du règne de Tarquin le Superbe : son intérêt pour l'architecture et la construction du temple de Jupiter Capitolin.

« [Tarquin le Superbe] donna ensuite toute son attention aux ouvrages intérieurs de Rome. Le plus important était le temple de Jupiter, qu'il bâtissait sur le mont Tarpéien, et qu'il voulait laisser comme un monument de son règne et du nom de Tarquin. C'était en effet l'ouvrage de deux Tarquins : le père avait fait le voeu, le fils l'avait accompli. » (Tite-Live, I, 50, traduction de Désiré Nisard (dir.), Œuvres de Tite-Live, I, Paris, Firmin Didot, « Collection des Auteurs latins », 1838, p. 49)

En s’appuyant sur l’étymologie grecque, on peut à partir de cette image explorer le vocabulaire de l’architecture : tetrastyle, hexastyle, octostyle, décastyle… tous mots qui proviennent du grec tetra/hexa/octo/deca [4, 6, 8, 10] et stylos (στῦλος), la colonne, et qui désignent le nombre de colonnes en façade. On peut aussi montrer les fondations du temple sous les musées du Capitole et des éléments architectoniques en terre cuite.

Les ressources pour réaliser l'activité

Brutus dictus

Il fut surnommé l'Abruti

Le premier extrait invite à réfléchir à la complexité du personnage de Brutus l'Ancien, ainsi surnommé malgré son intelligence, et expliquer son comportement apparemment idiot mais en réalité profondément subtil.

On peut ensuite explorer les mots de la famille de brutus : abruti, brute, brutal...

Le texte se prête particulièrement bien à l’étude du vocabulaire de la famille (mots en gras, dont on peut chercher l’équivalent latin dans le texte latin) et on peut chercher à expliquer la présence de ce champ lexical.

La monnaie a été frappée en 54 av. J.-C. sous l’autorité de Marcus Junius Brutus, qui participera 10 ans plus tard à l’assassinat de Jules César. Elle célèbre à l’avers Brutus l’Ancien, son homonyme, membre éminent de la famille Junia, qui en qualité de fondateur de la République était vu comme un chasseur de tyrans. Il est intéressant que développer le parallèle que faisaient déjà les antiques entre Brutus l’Ancien / Junius Brutus et César / un roi.

Primus consul creatus

Premier consul élu

L’extrait se prête assez bien à des observations sur la morphologie du groupe nominal et à introduire la deuxième déclinaison. On peut aussi repérer dans le texte des mots comme urbem, percussit, primus et chercher des mots de ces familles : urbanisme, percussion, primauté...

On cherchera à expliquer le geste de Brutus et les valeurs que l’histoire romaine met en avant (rectitude, sens du collectif et de l’état, respect des lois, altruisime...).

Le denier, frappé en 54 av. J.-C. par Marcus Junius Brutus, figure sur l'avers la Liberté (LIBERTAS), et sur le revers Brutus l’Ancien se déplaçant avec les licteurs, chargés d’appliquer les condamnations à être battu ou exécuté prononcées par le consul. Le message politique était alors adressé à Pompée, mais dix ans plus tard il sera toujours d’actualité pour César : Brutus doit sauver la liberté.

Ce thème des licteurs et de Brutus est repris dans le titre du tableau de Jacques Louis David, Les Licteurs rapportant à Brutus les corps de ses fils, qui date de 1789. Le peintre montre ici la détermination malgré la souffrance du consul. Une comparaison peut être amorcée avec les valeurs mises en avant dans le texte, mais aussi avec le contexte historique : 509 av. J.-C. et 1789 sont deux périodes de révolutions… Il permet également d'explorer la symboliques des faisceaux (fasces), des licteurs romains aux régimes fascistes et en particulier le régime mussolinien.

Les ressources pour réaliser l'activité

« Tunc illa tria romani nominis prodigia atque miracula : Horatius, Mucius, Claelia, qui nisi in annalibus forent, hodie fabulae uiederentur. »

« Alors ces trois prodiges et miracles du nom romain : Horatius, Mucius, Clélie, qui, s’ils n’étaient pas consigné dans les annales, seraient vus aujourd’hui comme des fables. » (Florus, Abrégé d’Histoire romaine, X, 1)

On peut introduire avec cette phrase les héros de la guerre contre Porsenna, en particulier Horatius et Mucius, que Dumézil rassemble aussi pour les comparer à d’autres mythologies, en particulier scandinave, autour d’un borgne et d’un manchot.

On peut s’interroger, comme Florus, sur la véracité de ces récits, et être amené à regarder ces épisodes comme des mythes historiques. On pourra ouvrir la réflexion sur l’Histoire comme une construction et s’interroger sur sa subjectivité.

Grâce à la monnaie (denier de Caius Minucius Augurinus), on pourra aussi réfléchir aux statues dans l’espace public et aux grandes figures qu’elles sont censées honorer, de l’Antiquité à aujourd’hui, et aux sens divers qu’elles peuvent revêtir avec le temps (jusqu’à des questions d’actualité sur la « cancel culture »…)

Horatius Coclès

Dans l'étude du texte, on peut guider les élèves, à l’aide de vocabulaire, vers une analyse et une traduction d’une phrase simple préalablement laissée vacante dans la traduction donnée aux élèves, comme : Horatius Cocles (Nom.) pro ponte sublicio (Abl.) stetit (V. 3e sg.) et aciem (Acc.) hostium (Gen.) solus (Nom.) sustinuit (V. 3e sg.).

Vocabulaire :

  •  
  • Hŏrātĭus, ii, m. : Horatius
  • cō̆clēs, ĭtis, m. : borgne
  • prō, prép. + abl. : devant
  • pōns, pontis, m. : pont
  • sū̆blĭcĭus, a, um : [pont] de bois [construit à Rome par Ancus Martius]
  • stō, as, are, steti, statum : se tenir debout
  • ăcĭēs, ei, f. : ligne de bataille
  • hōstĭs, is, m. : ennemi
  • sōlus, a, um : seul
  • sūstĭnĕo, es, ere, tinui, tentum : soutenir, supporter

Il est aussi possible de comparer le texte avec le médaillon de bronze, qui n'est pas une monnaie, mais un objet destiné à être distribué par l’empereur à des personnes choisies. Il figure l’empereur Antonin (138-161) à l’avers et l’épisode d’Horatius Cocles au revers avec la légende COCLES. Il est intéressant de réfléchir au moment qui est représenté et d’identifier Horatius (comment est-il représenté ? Au moment de sa traversée), les Romains (que font-ils ? Ils cassent le pont), les Étrusques (que font-ils ? Ils tirent sur Horatius), le pont (comment est-il représenté ? Il est à moitié cassé).

Mucius Scaevola

En lisant le texte, on peut chercher à expliquer, à l’aide d’un dictionnaire de latin ou de ressources en ligne, le surnom de Scaevolus qui a été donné à Mucius Cordus.

  • Lire la définition de scaeva dans le Gaffiot en ligne

Ce thème a rencontré une grande postérité à l’époque moderne, tant en peinture que dans les arts décoratifs. L'intaille proposée en regard porte l’inscription COSTACIOR, contraction déformée de CONSTANTIOR, « très constant », « d’une grande constance ». Nous pouvons remarquer que cette qualité est la qualité principale attribuée à Mucius, terme que l’on peut retrouver aussi dans le texte latin.

Clélie

Dans l'étude du texte, on peut guider les élèves, à l’aide de vocabulaire, vers la traduction d’une phrase simple préalablement laissée vacante dans la traduction donnée aux élèves, comme : Porsenna (Nom.) Cloeliam nobilem uirginem (Acc.) inter obsides (inter + Acc.) accepit (V. 3e sg.).

Vocabulaire :

  •  
  • Pōrsēnna, ae, m. : Porsenna
  • Clōelĭa, ae, f. : Clélie
  • nōbĭlĭs, e : noble
  • vīrgō, ginis, f.: vierge, jeune fille non mariée
  • īntĕr, prép. + acc. : parmi, entre
  • ōbsēs, idis, m. : otage
  • āccĭpĭo, is, ere, cepi, ceptum : recevoir

Les représentations, nombreuses, de l’histoire de Clélie, mettent toujours en avant le caractère équestre de son évasion, comme la statue qui lui fut consacrée à Rome.

Clélie est une des très rares héroïnes de l’histoire légendaire de Rome, avec la vestale Claudia et Cléopâtre, seules femmes à avoir leurs biographies dans le De Viris Illustribus Urbis Romae, aussi peu vir (homme) soient-elles. Son personnage a même inspiré un roman à Mme de Scudery.

Les ressources pour réaliser l'activité

Les événements de 509 av. J.-C. et leurs suites ont permis l’instauration de la République, qui si elle n’est pas une démocratie, est cependant fondée sur l’élection et le droit, et où de nombreuses familles se partagent le pouvoir. Ces différents épisodes promeuvent un certain nombre de valeurs chères aux Romains républicains, qui peuvent faire l'objet d'une réflexion à part entière avec les élèves.

Pour aller plus loin