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Extrait

Un Balcon en forêt

Julien Gracq, Un Balcon en forêt, Éditions José Corti, 1958
En 1940, Julien Gracq a trouvé dans la Drôle de guerre une situation d'attente qui rejoint l'un de ses tropismes littéraires. Près de quinze ans après, dans Un balcon en forêt, c'est ce climat qu'il décrit, de façon réaliste, mais dans le cadre imaginaire d'une maison forte des Ardennes.

La chambre était un grenier assez étroit dont les fenêtres donnaient sur la Meuse ; dans l’angle opposé au lit de fer, des fruits séchaient, étalés sur de vieux journaux qui tapissaient une commode bancale : l’odeur obsédante et douceâtre des pommes sures était si agressive qu’il eut un haut-le-cœur. Il ouvrit les fenêtres toutes grandes et s’assit sur une malle, complètement dégrisé. Les draps, les couvertures, fleuraient la pomme pourrie comme un vieux pressoir ; il tira le lit tout contre la fenêtre ouverte. La flamme de la bougie vacilla avec le lent courant d’air de la rivière ; entre les chevrons du toit, on apercevait les lourdes dalles de schiste de la Meuse, d’une étrange couleur lie de vin. Il se dévêtit, l’humeur très sombre : cette bourgade de fonderies, ces ruelles couleur de houille, le colonel, les pommes, tout, de cette prise de contact avec la vie de cantonnement, lui déplaisait. « Une maison-forte, songeait-il, qu’est-ce que cela peut être ? ».

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