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Extrait

Le soleil engendra les poissons qui engendrèrent le vent

Dominique Aguessy, Le Caméléon bavard

 Conte pour qui ? lança le conteur.
 Conte pour tous, répondirent en chœur les auditeurs.
 Qui l'a raconté ?
 Le caméléon.

Le conteur se frotta le crâne comme pour réchauffer sa mémoire, toussa deux ou trois fois pour s'éclaircir la voix, puis entama son récit.

Il est vrai, dit-il, que sur l'origine des mots et des choses personne n'en sait autant que le caméléon. Lui seul fut capable, dans les temps les plus reculés, de parcourir terre et ciel. Je vais donc vous livrer ce dont il m'a fait part.

Autrefois, il y a très longtemps, l'Homme ne connaissait pas le feu. Il ignorait de même ce qu'était le vent, car il ne l'avait jamais entendu souffler.

Le firmament n'était pas très haut au-dessus de nos têtes. Nous pouvions le toucher de la main en nous haussant sur la pointe des pieds.

Les royaumes du Soleil et de la Lune s'étendaient à perte de vue. Ces deux génies y vivaient en bonne harmonie. Chacun prenait soin de ses nombreux enfants et faisait bénéficier les êtres humains de ses largesses. Le Soleil envoyait ses rayons sur la terre pour la réchauffer sans la brûler. Grâce à lui, ses habitants pouvaient faire chauffer de l'eau et cuire leurs aliments.

Cependant, les enfants de la Lune enviaient la progéniture du Soleil et, ne fut-ce l'interdiction de leur mère, ils se seraient empressés d'aller jouer avec eux. Un jour, n'y tenant plus, trois enfants de la Lune, désobéissant à leur mère, s'approchèrent trop près du Soleil. Ils furent brûlés, carbonisés et ne revinrent plus.
Mère Lune se douta bien vite de ce qui était arrivé. Elle prépara sa vengeance…

Un beau soir de pleine Lune, elle s'empara de l'un des enfants du Soleil et le plongea dans la mer. Comme il était brûlant, le froid de l'eau lui fit dégager une abondante vapeur, émettre un souffle puissant. En même temps, celui-ci se répandit aux alentours comme une brume persistante.

Mère Lune pensant que la punition était suffisante voulut retirer l'enfant du Soleil de l'eau.

À sa grande surprise, elle vit qu'il se transformait. Ses yeux se fermèrent, sa bouche s'aplatit et s'ouvrit. Le premier poisson, Huêvi, qui signifie enfant du Soleil, venait d'apparaître.

Satisfaite de cet exploit, Mère Lune voulut le reproduire une seconde fois. Elle réussit à persuader le Soleil de faire prendre un bain à ses enfants à lui, disant qu'elle ferait de même pour les siens.

Mais dès que les fils du Soleil entrèrent dans la mer, obéissant à un signal discret de la Lune, la tempête se leva. Les vagues chevauchèrent des montures fougueuses. Elles se couvrirent d'écume blanche, se bousculant les unes les autres comme pour jaillir hors de l'océan. Elles se dressèrent de plus en plus haut jusqu'à recouvrir tout ce qui respire.

Les enfants du Soleil n'échappèrent pas à la plongée générale. L'eau éteignit le feu qui constituait leur corps.

Les enfants du Soleil se sentirent heureux et se mirent à s'agiter en tous sens. Ils ne voulurent plus jamais sortir de l'eau. A leur tour ils étaient devenus poissons, Huêvi. Quand ils s'aperçurent que cette nouvelle manière d'être était irréversible, ils poussèrent tous ensemble un soupir, d'étonnement et de soulagement. Le souffle qui s'échappa au même moment de leurs bouches allongées, fut assez puissant pour parcourir toute la terre. Puis celui-ci s'installa comme un phénomène permanent, ne cessant de tourbillonner autour d'elle. Ce fut là l'origine du vent.

Depuis lors, par jour de grand vent, les pêcheurs sortent leurs filets. Ils espèrent une pêche fructueuse car le vent et les poissons sont toujours de connivence. Ils n'ont pas oublié dans quelles circonstances ils sont apparus pour la première fois en ce monde.

Dominique Aguessy, Le Caméléon bavard, contes et légendes du Sénégal et du Bénin, Paris : L'Harmattan, 1994.
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