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Extrait

Scarbo

Aloysius Bertrand, Gaspard de la Nuit, Pièces détachées, « Scarbo », 1842
David d’Angers qui a recueilli tous les manuscrits que Bertrand gardait avec lui à l’hôpital les a transmis à Victor Pavie et à Sainte-Beuve lorsqu’ils préparaient l’édition originale de Gaspard de la Nuit. Ils décidèrent de publier en annexe de l’œuvre, sous le titre « Pièces détachées du portefeuille de l’auteur », quelques textes qui leur paraissaient proches, formellement, des pièces composant les six livres des Fantaisies. Certains de ces textes ont dû appartenir au livre avant d’être remplacés par d’autres ou supprimés ; d’autres ont pu être composés après la vente du manuscrit, peut-être pour y être insérés. Il semble que ce soit le cas de « À M. David, statuaire », dont deux manuscrits, l’un et l’autre postérieurs à la vente de Gaspard de la Nuit à Renduel, nous sont parvenus. Plusieurs de ces « Pièces détachées » ont acquis une célébrité égale et parfois supérieure aux textes de Gaspard de la Nuit. C’est particulièrement le cas de « Scarbo » que nombre de lecteurs ont préféré à la pièce qui porte le même titre dans la version du manuscrit vendu à Renduel (livre III). 
 

Il regarda sous le lit, dans la cheminée, dans le bahut ; — personne. Il ne put comprendre par où il s’était introduit, par où il s’était évadé.

Hoffmann. — Contes nocturnes.

Oh ! que fois je l’ai entendu et vu, Scarbo, lorsqu’à minuit la lune brille dans le ciel comme un écu d’argent sur une bannière d’azur semée d’abeilles d’or !

Que de fois j’ai entendu bourdonner son rire dans l’ombre de mon alcôve, et grincer son ongle sur la soie des courtines de mon lit !

Que de fois je l’ai vu descendre du plancher, pirouetter sur un pied et rouler par la chambre comme le fuseau tombé de la quenouille d’une sorcière !

Le croyais-je alors évanoui ? le nain grandissait entre la lune et moi comme le clocher d’une cathédrale gothique, un grelot d’or en branle à son bonnet pointu !

Mais bientôt son corps bleuissait, diaphane comme la cire d’une bougie, son visage blémissait comme la cire d’un lumignon, — et soudain il s’éteignait.

Aloysius Bertrand, Gaspard de la Nuit, Paris : Pincebourde, 1869, pp. 191-192.
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