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Extrait

Le bain

Claudine à l’école, Colette, 1900

Le cabinet de toilette est sommairement meublé d'une grande table recouverte de zinc sur laquelle s'alignent huit cuvettes, huit savons, huit paires de serviettes, huit éponges, tous les objets pareils, le linge matriculé à l'encre indélébile. C'est proprement tenu.
Je demande :
« Est-ce que vous prenez des bains ?
— Oui, et c'est encore quelque chose de drôle, va !
Dans la buanderie neuve, on fait chauffer de l'eau plein une grande cuve à vendanges, grande comme une chambre. Nous nous déshabillons toutes et nous nous fourrons dedans pour nous savonner.
— Toutes nues ?
— Dame, comment ferait-on pour se savonner, sans ça ? Rose Raguenot ne voulait pas, bien sûr parce qu'elle est trop maigre. Si tu la voyais, ajoute Luce en baissant la voix, elle n'a presque rien sur les os, et c'est tout plat sur sa poitrine, comme un garçon ! Jousse, au contraire, c'est comme une nourrice, ils sont gros comme ça ! Et celle qui met un bonnet de nuit de vieille, tu sais, Poisson, elle est velue partout comme un ours, et elle a les cuisses bleues.
— Comment bleues ?
— Oui, bleues, comme quand il gèle et qu'on a la peau bleue de froid.
— Ça doit être engageant !
— Non, pour sûr ! Si j'étais garçon, ça ne me ferait pas grand-chose de me baigner avec elle !
— Mais elle, ça lui ferait peut-être plus d'effet, de se baigner avec un garçon ? »
Nous pouffons ; mais je bondis en entendant le pas et la voix de Mlle Sergent dans le corridor.

Colette. Claudine à l’école dans Œuvres. Paris : Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », t. I, p. 97. Première édition : 1900.
 
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