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Extrait

Le billet d'obligation de mariage

Acte II, Scène 22

BASILE, BARTHOLO, MARCELINE, FIGARO, LE COMTE, GRIPPE-SOLEIL, LA COMTESSE, SUZANNE, ANTONIO ; VALETS DU COMTE, SES VASSAUX.

MARCELINE, au comte. Ne l'ordonnez pas, monseigneur ! Avant de lui faire grâce, vous nous devez justice. Il a des engagements avec moi.
LE COMTE, à part. Voilà ma vengeance arrivée.
FIGARO. Des engagements ! de quelle nature ? Expliquez- vous.
MARCELINE. Oui, je m'expliquerai, malhonnête !
(La comtesse s'assied sur une bergère. Suzanne est derrière elle.)
LE COMTE. De quoi s'agit-il, Marceline ?
MARCELINE. D'une obligation de mariage.
FIGARO. Un billet voilà tout, pour de l'argent prêté.
MARCELINE, au comte. Sous condition de m'épouser. Vous êtes un grand seigneur, le premier juge de la province.
LE COMTE. Présentez-vous au tribunal, j'y rendrai justice à tout le monde.
BASILE, montrant Marceline. En ce cas, votre grandeur permet que je fasse aussi valoir mes droits sur Marceline ?
LE COMTE, à part. Ah ! Voilà mon fripon du billet.
FIGARO. Autre fou de la même espèce !
LE COMTE, en colère, à Basile. Vos droits ! vos droits ! Il vous convient bien de parler devant moi, maître sot !
ANTONIO, frappant dans sa main. Il ne l'a, ma foi, pas manqué du premier coup : c'est son nom.
LE COMTE. Marceline, on suspendra tout jusqu'à l'examen de vos titres, qui se fera publiquement dans la grande salle d'audience. Honnête Basile, agent fidèle et sûr, allez au bourg chercher les gens du siège.
BASILE. Pour son affaire ?
LE COMTE. Et vous m'amènerez le paysan du billet.
BASILE. Est-ce que je le connais ?
LE COMTE. Vous résistez !
BASILE. Je ne suis pas entré au château pour en faire les commissions.
LE COMTE. Quoi donc ?
BASILE. Homme à talent sur l'orgue du village, je montre le clavecin à madame, à chanter à ses femmes, la mandoline aux pages ; et mon emploi surtout est d'amuser votre compagnie avec ma guitare, quand il vous plaît me l'ordonner.
GRIPPE-SOLEIL s'avance. J'irai bien, monsigneu, si cela vous plaira.
LE COMTE. Quel est ton nom et ton emploi ?
GRIPPE-SOLEIL. Je suis Grippe-Soleil, mon bon signe ; le petit patouriau des chèvres, commandé pour le feu d'artifice. C'est fête aujourd'hui dans le troupiau; et je sais ous-ce-qu'est toute l'enragée boutique à procès du pays.
LE COMTE. Ton zèle me plaît : vas-y ; mais vous (à Basile), accompagnez monsieur en jouant de la guitare, et chantant pour l'amuser en chemin. Il est de ma compagnie.
GRIPPE-SOLEIL, joyeux. Oh ! moi, je suis de la.
(Suzanne l'apaise de la main, en lui montrant la comtesse.)
BASILE, surpris. Que j'accompagne Grippe-Soleil en jouant ?
LE COMTE. C'est votre emploi. Partez, ou je vous chasse.
(Il sort.)

Beaumarchais, Le Mariage de Figaro, 1784.
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