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Extrait

Spéculations métaphysiques

Voltaire, Micromégas, chapitre VII, 1752
Les Terriens déclarent que tout ce qui existe a été créé par Dieu à l’intention des hommes, ce qui ne manque pas d’amuser Micromégas et son compagnon le Saturnien.

Un petit partisan de Locke était là tout auprès ; et quand on lui eut enfin adressé la parole : « Je ne sais pas, dit-il, comment je pense, mais je sais que je n’ai jamais pensé qu’à l’occasion de mes sens. Qu’il y ait des substances immatérielles et intelligentes, c’est de quoi je ne doute pas ; mais qu’il soit impossible à Dieu de communiquer la pensée à la matière, c’est de quoi je doute fort. Je révère la puissance éternelle ; il ne m’appartient pas de la borner ; je n’affirme rien ; je me contente de croire qu’il y a plus de choses possibles qu’on ne pense. »
L’animal de Sirius sourit : il ne trouva pas celui-là le moins sage ; et le nain de Saturne aurait embrassé le sectateur de Locke sans l’extrême disproportion. Mais il y avait là, par malheur, un petit animalcule en bonnet carré qui coupa la parole à tous les animalcules philosophes ; il dit qu’il savait tout le secret, que cela se trouvait dans la Somme de saint Thomas ; il regarda de haut en bas les deux habitants célestes ; il leur soutint que leurs personnes, leurs mondes, leurs soleils, leurs étoiles, tout était fait uniquement pour l’homme. À ce discours, nos deux voyageurs se laissèrent aller l’un sur l’autre en étouffant de ce rire inextinguible qui, selon Homère, est le partage des dieux ; leurs épaules et leurs ventres allaient et venaient, et dans ces convulsions le vaisseau, que le Sirien avait sur son ongle, tomba dans une poche de la culotte du Saturnien. Ces deux bonnes gens le cherchèrent longtemps ; enfin ils retrouvèrent l’équipage, et le rajustèrent fort proprement. Le Sirien reprit les petites mites ; il leur parla encore avec beaucoup de bonté, quoiqu’il fût un peu fâché dans le fond du cœur de voir que les infiniment petits eussent un orgueil presque infiniment grand. Il leur promit de leur faire un beau livre de philosophie écrit fort menu pour leur usage, et que, dans ce livre, ils verraient le bout des choses. Effectivement, il leur donna ce volume avant son départ : on le porta à Paris à l’Académie des sciences ; mais, quand le secrétaire l’eut ouvert, il ne vit rien qu’un livre tout blanc : « Ah ! dit-il, je m’en étais bien douté. »

Voltaire, Zadig – Candide – Micromégas, Paris, C. Marpon et E. Flammarion, 1889, pp. 242-243.
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