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Extrait

Ballade à la Lune

Alfred de Musset, Contes d’Espagne et d’Italie, 1829

C’était, dans la nuit brune,
Sur le clocher jauni,
La lune,
Comme un point sur un i.
 
Lune, quel esprit sombre
Promène au bout d’un fil,
Dans l’ombre,
Ta face et ton profil ?
 
Es-tu l’œil du ciel borgne ?
Quel chérubin cafard
Nous lorgne
Sous ton masque blafard ?
 
N’es-tu rien qu’une boule  ?
Qu’un grand faucheux bien gras
Qui roule
Sans pattes et sans bras ?
 
Es-tu, je t’en soupçonne,
Le vieux cadran de fer
Qui sonne
L’heure aux damnés d’enfer ?
 
Sur ton front qui voyage,
Ce soir ont-ils compté
Quel âge
A leur éternité ?
 
Est-ce un ver qui te ronge,
Quand ton disque noirci
S’allonge
En croissant rétréci ?
 
Qui t’avait éborgnée
L’autre nuit ? T’étais-tu
Cognée
À quelque arbre pointu ?
 
Car tu vins, pâle et morne,
Coller sur mes carreaux
Ta corne,
À travers les barreaux.
 
[…]
 
Et qu’il vente ou qu’il neige,
Moi-même, chaque soir,
Que fais-je,
Venant ici m’asseoir ?
 
Je viens voir à la brune,
Sur le clocher jauni,
La lune
Comme un point sur un i.

Alfred de Musset, Contes d’Espagne et d’Italie, Paris, A. Levavasseur ; M. Canel, 1830, pp. 197-203.
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