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Extrait

Les mesures de redressement du franc

Discours à la chambre parlementaire, 21 juin 1928
Poincaré présente aux députés son plan de redressement financier le 21 juin 1928, après deux années passées à la tête du gouvernement.

Lorsque nous avons cru devoir apporter à la Chambre, pour rétablir l'équilibre budgétaire, un certain nombre de mesures fiscales et de relèvements d'impôts, la Chambre s'est résignée à nous suivre. Elle s'est résignée par patriotisme, mais, vous le supposez bien, elle a, comme nous-mêmes, manqué d'enthousiasme...

Nous ne nous sommes pas laissés détourner de notre voie. Nous avons écarté les remèdes violents. Nous avons cherché à rétablir, d'abord, l'équilibre budgétaire par le vote des impôts indispensables. Nous avons organisé un amortissement1 rationnel et régulier de notre dette flottante2. Nous nous sommes efforcés d'inspirer au-dedans et au-dehors confiance dans le crédit de la France.
À l'intérieur, nous avons rassuré les porteurs de bons. À l'extérieur, nous avons fait face à toutes nos échéances. Dans la question des dettes interalliées, nous ne nous sommes pas engagés pour un avenir indéfini, parce que nous ne pouvions pas être sûrs d'avoir toujours les moyens de transférer pendant soixante-deux ans, mais, nous trouvant hier et aujourd'hui à même de payer, grâce à l'exécution, régulière jusqu'ici, du plan Dawes3 nous avons payé […].

Une des causes principales de la dépréciation du franc, c'était, messieurs, l'énormité des avances que l'État avait dû demander à la Banque de France. Nous nous sommes appliqués à les rembourser, non pas en une fois, bien entendu, ni même en deux ou trois fois, mais peu à peu et, en moins de deux ans, nous y avons presque totalement réussi. Nous y aurons demain totalement réussi […]
Travaillant à l'assainissement de nos finances et de notre monnaie, nous n'avions pas le droit, bien entendu, de fermer les yeux sur l'énormité de la dette publique4 qui nous a été imposée d'abord par les lourdes dépenses de la guerre et, depuis la guerre, par la nécessité d'avancer le montant des réparations […].

La politique d'amortissement et de consolidation facultative que nous avons poursuivie n'est nullement, comme on l'a prétendu parfois par ignorance ou par mauvaise foi, une politique d'emprunts. Elle a, au contraire, consisté à remplacer des emprunts remboursables à court terme et par conséquent menaçants et dangereux, par des emprunts à plus long terme automatiquement amortissables et n'ayant, par conséquent, rien de menaçant.

Cette politique a rapidement fortifié le crédit de l'État et, en abaissant peu à peu le taux de l'intérêt, elle a, réfléchissez-y, préparé des conversions futures qui viendront à leur tour alléger notre dette. (Très bien ! très bien !) [...].

L'ensemble de toutes ces mesures a eu très vite une grande influence sur le cours des changes. À elle seule, la formation d'un gouvernement de concorde républicaine et nationale avait déjà ramené en quelques jours la livre sterling de 240 à 200 F ; mais, aussitôt après l'adoption de nos premiers projets financiers, et notamment après le vote de la loi constitutionnelle qui a créé la caisse d'amortissement, la hausse du franc s'est très vite accentuée.


1. Amortissement : remboursement
2. Dette flottante : dette de l'État à court terme (constituée de titres remboursables dans un délai bref comme les bons du Trésor).
3. En 1924, le plan Dawes, du nom d'un général et banquier américain qui préside un comité d'experts anglo-saxons, indexe le montant des réparations que doit l'Allemagne aux Alliés en vertu du traité de Versailles sur la croissance de son économie. Il arbitre la crise franco-allemande de l'après-guerre et met fin à l'occupation de la Ruhr par les troupes françaises décidée par Poincaré en 1923. La France, de son côté, doit rembourser d'immenses dettes contractées pendant la guerre à l'égard des États-Unis. Elle s'engage en 1926 à payer 6,8 milliards de dollars en 62 ans, en espérant que les réparations allemandes lui permettront de faire face aux exigences américaines. Ce fragile édifice financier ne résistera pas à la grande crise des années 1930.
4. Dette publique : ensemble des emprunts contractés par l'État.

Journal Officiel, Débats parlementaires, Chambre des députés, séance du 21 juin 1928.
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