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Extrait

Le plaidoyer de Mme de Miremont pour une éducation féminine

Mme de Miremont, Traité de l'éducation des femmes, « Discours préliminaire », 1779
À partir des années 1760, les traités d'éducation féminine se multiplient. Mme de Miremont publie ainsi entre 1779 et 1789 un traité en sept volumes sur l'éducation féminine. Tout en déplorant l'instruction offerte dans les couvents et en faisant appel à de prestigieux modèles antiques, elle sépare nettement caractères féminins et masculins. Tout en valorisant l'éducation maternelle, son texte appelle à la mise en place d'une nouvelle éducation publique féminine.

Les hommes cherchent à devenir meilleurs à mesure qu’ils deviennent éclairés. Les sciences agissent sur l’esprit, l’esprit à son tour fait mouvoir le cœur : c’est sans doute à cet heureux concours de lumières, de connaissances acquises et de vérités senties que nous sommes redevables de ce nombre d’ouvrages qui ont paru depuis quelques années sur l’éducation.

Mais qu’il me soit permis de l’observer : en vain s’efforcera-t-on de réformer l’éducation des hommes, si l’on ne travaille en même temps à créer un autre plan d’éducation pour les femmes. La manière dont on semble les abandonner me persuade qu’on n’a pas encore assez senti combien leurs mœurs influeront toujours sur celles des hommes.

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Au lieu de nourrir, comme on le fait dans les femmes, des idées pusillanimes ou fausses, qui les rendent tantôt timides jusqu’à la faiblesse, tantôt vindicatives jusqu’à la cruauté ; qu’on mette à profit la sensibilité de leur âme ; leur cœur sera bon, humain et vertueux : loin de laisser remplir leur tête de frivolités, d’en faire de grands enfants qui vieillissent dans l’adolescence, qu’on cultive leur esprit, qu’on leur inspire le goût des choses solides, qu’on forme leur jugement, qu’on assure leur vertu par des principes, qu’on substitue enfin des maximes à des préjugés ; bientôt leurs mœurs seront aussi épurées, que leur tact sera sûr. Alors, sans beaucoup de travail, les hommes prendront naturellement une autre manière d’être. Les sociétés particulières de ces femmes qui savent penser et qui osent s’occuper en sont des preuves parlantes ; mais les siècles passés fournissent des exemples plus frappants encore. Pour nous les rendre sensibles, remontons une seconde fois à cette époque de la grandeur de la Grèce et de l’ancienne Rome. Quelle élévation, quelle noblesse, quelles vertus mâles ne trouvait-on pas chez les femmes ? On est forcé quelquefois d’admirer comment ces passions héroïques affaiblissaient en elles ce lien de la nature si puissant et si doux : l’amour maternel. On vit dans ces temps plus d’une Spartiate demander, non pas : « Mon fils est-il vivant ? », mais : « Avons-nous vaincu ? »

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Mais qu’on est loin de donner aux femmes des notions justes des devoirs qu’on exige qu’elles remplissent ! En naissant, elles apportent le don de plaire ; avec le lait, elles en sucent le talent. Pourquoi les avoir réduites à en faire un art ? C’est là l’origine de tout le mal qu’elles font ; c’est la cause première de tous les malheurs qu’elles attirent sur elles-mêmes. En sortant des mains de la nature, elles sont si belles, leur âme est si bonne, leur cœur si tendre, leurs grâces si naïves, leur innocence si touchante ! Comment se peut-il que rien de tout cela n’intéresse, qu’au moment où, souvent, il ne leur reste plus que le funeste présent de la beauté ?Cette première éducation qu’on reconnaît enfin si importante, pourquoi l’abandonner au hasard ? Des leçons de mensonge, de dissimulation ; des exemples dont le moindre souvenir laisse toujours de pernicieuses impressions : voilà ce que les gouvernantes suggèrent aux enfants, sans le savoir. Une mère, entièrement occupée de ses plaisirs, entre peu dans ces détails : quelques gentillesses, déjà preuves d’artifice, satisfont sa vanité ; elle prend ainsi le change sur ce que devrait lui dicter le sentiment, et elle se persuade avoir veillé à l’éducation de ses filles. Mais poursuivons et examinons celle qu’on donne dans les couvents.

Des filles presque toutes élevées dans le cloître, consacrées par état au jeûne et à la prière, sans aucun usage du monde, sans connaissance de ses dangers ni de ses devoirs ; des filles pieuses, souvent remplies de minuties, formeront-elles jamais des mères tendres, des épouses respectables, de vraies amies ; des femmes, enfin, qui sachent partager leur temps entre les plaisirs honnêtes et les occupations solides ? Ne l’espérons pas : l’ignorance ne produit que l’erreur ou le fanatisme.

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Moins coupables que faibles, victimes de l’ignorance ou du dédain des hommes de ces derniers siècles, à qui osent-ils aujourd’hui reprocher la corruption des mœurs ?
Les femmes eussent-elles jamais amolli leur âme, énervé leurs sentiments, presque éteint l’amour de la gloire dans leur cœur ; si ces arbitres de l’univers, eux qui ont fait les lois, qui ont réglé la politique, qui ont cru avoir pourvu à toutes choses ; si, dis-je, ils ne s’étaient mépris sur leurs véritables intérêts en cherchant à nous abaisser, à nous rendre le jouet de leurs passions, à n’exiger de nous que des vertus factices ; et seulement autant qu’il en fallait pour assaisonner leurs plaisirs.

Qui méconnaît les droits de la nature et s’attache à les détruire devient l’artisan de ses peines. Destinées par le Créateur à être pour les hommes ce qu’ils doivent avoir de plus cher ; tenant à eux par les liens sacrés du cœur et du sang, restant dépositaires de leur enfance, de ce temps précieux où se jettent les premiers fondements de l’éducation, il ne se pouvait pas qu’à la longue, nous n’aidassions à tout faire dégénérer en eux : force, mœurs et vertu.

Mais tous ces malheurs n’attendent, pour disparaître, que la seule réforme de l’éducation. Il ne s’agit plus de s’étendre en vaines clameurs sur les maux actuels ; les préceptes sur ce qu’il conviendrait de faire sont presque aussi inutiles ; ce sont des moyens qu’il faut offrir : peut-être la gloire de les indiquer n’appartiendrait-elle qu’à une femme qui connaîtrait bien le cœur humain en général, et son sexe en particulier.

Anne d'Aubourg de la Bove, comtesse de Miremont, Traité de l'éducation des femmes et cours complet d'instruction, Paris : P.-D. Pierres, 1779, p. xix-xxx.
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