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Extrait

Dieu créant le monde chez John Milton

John Milton, Paradis Perdu, chant VII

Le ciel ouvrit, dans toute leur largeur,
Ses portes éternelles tournant sur leurs gonds d'or
Avec un son harmonieux, pour laisser passer
Le Roi de gloire dans son puissant Verbe
Et dans son Esprit, qui venait créer de nouveaux mondes.
Ils s'arrêtèrent tous sur le sol du ciel, et contemplèrent
Du bord l'incommensurable abîme,
Orageux comme une mer, sombre, dévasté, sauvage,
Bouleversé jusqu'au fond par des vents furieux,
Enflant des vagues comme des montagnes, pour assiéger
La hauteur du ciel et pour confondre le centre avec le pôle.
 Silence, vous vagues troublées ! et toi, abîme, paix !
Dit le Verbe qui fait tout ; cessez vos discordes ! 
Il ne s'arrêta point, mais enlevé sur les ailes des Chérubins,
Plein de la gloire paternelle, il entra
Dans le chaos et dans le monde qui n'était pas né ;
Car le chaos entendit sa voix : le cortège des anges
Le suivait dans une procession brillante, pour voir
La création et les merveilles de sa puissance.
Alors il arrête les roues ardentes, et prend dans sa main
Le compas d'or, préparé dans l'éternel
Trésor de Dieu, pour tracer la circonférence
De cet univers et de toutes les choses créées.
Une pointe de ce compas il appuie au centre, et tourne
L'autre dans la vaste et obscure profondeur,
Et il dit : — Jusque-là étends-toi, jusque-là vont tes limites ;
Que ceci soit ton exacte circonférence, ô monde ! 
Ainsi Dieu créa le ciel, ainsi il créa la terre ; matière informe et vide.
(...)
Le Tout-Puissant parla encore : — Que des corps de lumière
Soient faits dans la haute étendue du ciel, afin qu'ils séparent
Le jour de la nuit : et qu'ils servent de signes
Pour les saisons et pour les jours et le cours des années,
Et qu'ils soient pour flambeaux, comme je l'ordonne,
Leur office dans le firmament du ciel
Sera de donner la lumière à la terre ! — Et cela fut fait ainsi.
Et Dieu fit deux grands corps lumineux, grands par leur utilité
Pour l'homme, le plus grand pour présider au jour,
Le plus petit pour présider à la nuit. Et il fit les étoiles
Et les mit dans le firmament du ciel
Pour illuminer la terre, et pour régler le jour,
Et pour régler la nuit dans leur vicissitude,
Et pour séparer la lumière d'avec les ténèbres. Dieu vit,
En contemplant son grand ouvrage, que cela était bon.
Car le soleil, sphère puissante, fut celui des corps célestes
Qu'il fit le premier, non lumineux d'abord,
Quoique de substance éthérée. Ensuite il forma la lune
Globuleuse et les étoiles de toutes grandeurs,
Et il sema le ciel d'étoiles comme un champ.
Il prit la plus grande partie de la lumière
Dans son tabernacle de nuée, il la transplanta
Et la plaça dans l'orbe du soleil, fait poreux pour recevoir
Et boire la lumière liquide, fait compact pour retenir
Ses rayons recueillis, aujourd'hui grand palais de la lumière.
Là, comme à leur fontaine, les autres astres
Se réparant, puisent la lumière dans leurs urnes d'or,
Et c'est là que la planète du matin dore ses cornes.
Par impression ou par réflexion ces astres augmentent
Leur petite propriété, bien que, si loin de l'oeil humain,
On ne les voie que diminués.
D'abord dans son orient se montra le glorieux flambeau,
Régent du jour ; il investit tout l'horizon
De rayons étincelants, joyeux de courir
Vers son occident sur le grand chemin du ciel : le
Pâle crépuscule, et les Pléiades formaient des danses devant lui,
Répandant une bénigne influence. Moins éclatante,
Mais à l'opposite, Sur le même niveau dans l'ouest, la lune était suspendue ;
Miroir du soleil, elle en emprunte la lumière sur sa pleine face ;
Dans cet aspect, elle n'avait besoin
D'aucune autre lumière, et elle garda cette distance
Jusqu'à la nuit; alors elle brilla à son tour dans l'orient,
Sa révolution étant accomplie sur le grand axe des cieux : elle régna
Dans son divisible empire avec mille plus petites lumières,
Avec mille et mille étoiles ! elles apparurent alors
Semant de paillettes l'hémisphère qu'ornaient, pour la première fois,
Leurs luminaires radieux qui se couchèrent et se levèrent.
Le joyeux soir et le joyeux matin couronnèrent le quatrième jour.

Jean Pierre Luminet, Les Poètes et l'Univers, Le Cherche-Midi, 1996.
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