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Extrait

L’atelier de Gustave Le Gray sur le boulevard des Capucines

L’Illustration, 12 avril 1856
Fin 1855, Gustave Le Gray s’installe dans un luxueux atelier boulevard des Capucines. Cent mille francs en espèces lui ont été apportés par un ancien député, riche propriétaire retiré en son château normand, le marquis de Briges. Début 1856, Le Gray termine l’aménagement. Après des mois de travaux, l’ouverture est saluée dans le journal L’Illustration par un reportage enthousiaste.

Depuis que la photographie est devenue un art, les établissements consacrés aux opérations ont dû nécessairement se transformer. Au laboratoire a succédé l’atelier, l’atelier est bientôt devenu salon, et même, comme chez M. Le Gray, un cabinet de haute curiosité, avec antichambre richement ornée. Du centre de cette pièce, aux murs tendus de cuir de Cordoue, qui rappellent les riches intérieurs flamands de Miéris et de Metzu, s’élève un double escalier à balustres tors, rampés de velours rouge et de crépines, conduisant à l’atelier vitré et au laboratoire des opérations chimiques. Cet escalier offre à la curiosité des visiteurs un Moïse sauvé des eaux, tableau peint en 1777 par François de Mura, et un miroir de Venise entouré d’une bordure ronde en bois sculpté, formée d’un enroulement d’amours très grassement modelés.

Dans le salon, éclairé par une large baie vitrée sur le boulevard, se trouve un cabinet de chêne sculpté, style Louis XIII, dont les panneaux représentent diverses scènes de la Bible, recouvrant une multitude de tiroirs et de secrets qui sont le cachet distinctif de ce genre de meubles. Sur la cheminée qui est en face s’élève une glace style Louis XIV, curieusement découpée et ornée de gravures en creux dont les sujets sont empruntés à des combats de cavaliers d’Europe et d’Orient. Parmi diverses peintures disposées sur la riche tenture de velours cramoisi qui leur sert de fond, on distingue surtout un portrait d’Isabelle la Catholique de l’école du Bronzino. Un autre portrait de femme flamande est attribué à Mervelt. Enfin, sur une table vénitienne en bois richement sculpté et doré, pêle-mêle avec des plats flamands de cuivre repoussés et des vases de Chine, se trouvent les portraits en épreuves volantes les mieux réussis des personnages éminents qui ont passé devant l’objectif de M. Le Gray, et dont d’autres épreuves coloriées forment l’ornement d’un petit boudoir attenant au salon. Mais ce qui fait le principal mérite de l’établissement, c’est l’habileté incomparable de l’artiste, c’est la précieuse exposition de l’atelier, où la lumière vient travailler sous la savante direction de M. Le Gray, comme un diligent ouvrier qui accourt à sa tâche quotidienne au lever du soleil.

L’Illustration, 12 avril 1856, reproduit dans Revue photographique, 5 mai 1856, p. 98-99.
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