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Extrait

« Une fort charmante personne »

Molière, L'Avare, acte I, scène 4

HARPAGON 
[…] avez-vous vu, dites-moi, une jeune personne appelée Mariane, qui ne loge pas loin d’ici ?

CLÉANTE
Oui, mon père.

HARPAGON
Et vous ?

ÉLISE
J’en ai ouï parler.

HARPAGON
Comment, mon fils, trouvez-vous cette fille ?

CLÉANTE
Une fort charmante personne.

HARPAGON
Sa physionomie ?

CLÉANTE
Toute honnête, et pleine d’esprit.

HARPAGON
Son air, et sa manière ?

CLÉANTE
Admirables, sans doute.

HARPAGON
Ne croyez-vous pas, qu’une fille comme cela, mériterait assez que l’on songeât à elle ?

CLÉANTE
Oui, mon père.

HARPAGON
Que ce serait un parti souhaitable ?

CLÉANTE
Très souhaitable.

HARPAGON
Qu’elle a toute la mine de faire un bon ménage ?

CLÉANTE
Sans doute.

HARPAGON
Et qu’un mari aurait satisfaction avec elle ?

CLÉANTE
Assurément.

HARPAGON
Il y a une petite difficulté ; c’est que j’ai peur qu’il n’y ait pas avec elle tout le bien qu’on pourrait prétendre.

CLÉANTE
Ah ! mon père, le bien n’est pas considérable, lorsqu’il est question d’épouser une honnête personne.

HARPAGON
Pardonnez-moi, pardonnez-moi. Mais ce qu’il y a à dire, c’est que si l’on n’y trouve pas tout le bien qu’on souhaite, on peut tâcher de regagner cela sur autre chose.

CLÉANTE
Cela s’entend.

HARPAGON
Enfin je suis bien aise de vous voir dans mes sentiments : car son maintien honnête, et sa douceur, m’ont gagné l’âme ; et je suis résolu de l’épouser, pourvu que j’y trouve quelque bien.

CLÉANTE
Euh ?

HARPAGON
Comment ?

CLÉANTE
Vous êtes résolu, dites-vous...

HARPAGON
D’épouser Mariane.

CLÉANTE
Qui vous ? vous ?

HARPAGON
Oui, moi, moi ; moi. Que veut dire cela ?

CLÉANTE
Il m’a pris tout à coup un éblouissement, et je me retire d’ici.

Molière, L'Avare, acte I, scène 4
Hachette et Cie (Paris), 1901
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