Extrait

À un poète qui n'écrivait qu'en latin

Jacques Peletier du Mans, Vers Lyriques, 1547

La reconnaissance du français comme une langue de littérature et de culture ne va pas sans mal au 16e siècle. Alors que de nombreux poètes prônent l'emploi du latin, du grec ou de l'italien, Jacques Peletier du Mans propose de donner ses lettres de noblesse à la langue en imitant les Anciens.

J'écris en langue maternelle,
Et tâche à la mettre en valeur,
Afin de la rendre éternelle,
Comme les vieux ont fait la leur ;
Et soutiens que c'est grand malheur
Que son propre bien mépriser
Pour l'autrui tant favoriser.
Si les Grecs sont si fort fameux,
Si les Latins sont aussi tels,
Pourquoi ne faisons-nous comme eux,
Pour être comme eux immortels ?
Toi qui si fort exercé t'est,
Et qui en latin écris tant,
Qu'es-tu sinon qu'un imitant,
Crois-tu que ton Poème approche
De ce que Virgile écrivait ?
Certes non pas (tout sans reproche)
Du moindre qui du temps vivait.
Mais le Français est seul qui voit
Ce que j'écris et si demeure
En la France, or j'ai peur qu'il meure
Je réponds, quoi que tu écrives
Pour l'envoyer en lointains lieux
Sans ce que les tiens tu en prives,
On pense toujours que des vieux
Le style vaut encore mieux.
Puis notre langue n'est si lourde,
Que bien haut elle ne se sourde.
Longtemps y a qu'elle est connue
En Italie et en Espagne,
Et est déjà la bienvenue
En Angleterre et en Allemagne.
Puis si en l'honneur on se baigne,
Mieux vaut être ici des meilleurs,
Que des médiocres ailleurs.
Or pour ce qu'est Latins et Grecs
Les arts sont réduits et compris,
Avec les Naturels secrets,
C'est bien raison qu'il soient appris.
Mais comme d'un riche pourpris,
Tout le meilleur il en faut prendre
Pour en notre langue le rendre.
Là où tout peut être traité,
Pourvu que bien tu te disposes.
S'ily a de la pauvreté,
Qui garde que tu ne composes
Nouveaux mots aux nouvelles choses ?
Si même à l'exemple te mires
De ceux-là que tant tu admires ?

Jacques Peletier du Mans, Vers Lyriques, 1547

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