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Extrait

« Écoute seulement ce soupir amoureux »

Molière, L’École des femmes, acte V, scène 4

ARNOLPHE
[…]
Chose étrange ! d’aimer, et que pour ces traîtresses
Les hommes soient sujets à de telles faiblesses,
Tout le monde connaît leur imperfection.
Ce n’est qu’extravagance, et qu’indiscrétion ;
Leur esprit est méchant, et leur âme fragile,
Il n’est rien de plus faible et de plus imbécile,
Rien de plus infidèle, et malgré tout cela
Dans le monde on fait tout pour ces animaux-là.
Hé bien, faisons la paix, va petite traîtresse,
Je te pardonne tout, et te rends ma tendresse ;
Considère par là l’amour que j’ai pour toi,
Et me voyant si bon, en revanche aime-moi.

AGNÈS
Du meilleur de mon cœur, je voudrais vous complaire,
Que me coûterait-il, si je le pouvais faire ?

ARNOLPHE
Mon pauvre petit bec, tu le peux si tu veux.
(Il fait un soupir.)
Écoute seulement ce soupir amoureux,
Vois ce regard mourant, contemple ma personne,
Et quitte ce morveux, et l’amour qu’il te donne ;
C’est quelque sort qu’il faut qu’il ait jeté sur toi,
Et tu seras cent fois plus heureuse avec moi.
Ta forte passion est d’être brave et leste,
Tu le seras toujours, va, je te le proteste ;
Sans cesse nuit et jour je te caresserai,
Je te bouchonnerai, baiserai, mangerai ;
Tout comme tu voudras, tu pourras te conduire,
Je ne m’explique point, et cela c’est tout dire.
(À part.)
Jusqu’où la passion peut-elle faire aller ?
Enfin à mon amour rien ne peut s’égaler ;
Quelle preuve veux-tu que je t’en donne, ingrate ?
Me veux-tu voir pleurer ? Veux-tu que je me batte ?
Veux-tu que je m’arrache un côté de cheveux ?
Veux-tu que je me tue ? Oui, dis si tu le veux,
Je suis tout prêt, cruelle, à te prouver ma flamme.

AGNÈS
Tenez, tous vos discours ne me touchent point l’âme.
Horace avec deux mots en ferait plus que vous.

Molière, L’École des femmes, acte V, scène 4
Œuvres de Molière, tome II, Michel Lambert (Paris), 1773
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