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Extrait

Extraits du prospectus de souscription pour l'Encyclopédie

Diderot, « Prospectus », Encyclopédie, 1750
Paru au mois d'octobre 1750, mais daté de 1751, ce prospectus de Diderot décrit le projet encyclopédique à l'intention de futurs souscripteurs. Il a été ajouté, avec quelques modifications de la main de d'Alembert, au début du premier volume de l'œuvre.

On ne peut disconvenir que, depuis le renouvellement des lettres parmi nous, on ne doive en partie aux dictionnaires les lumières générales qui se sont répandues dans la société, et ce germe de science qui dispose insensiblement les esprits à des connaissances plus profondes. Combien donc n'importait-il pas d'avoir en ce genre un livre qu'on pût consulter sur toutes les matières, et qui servît autant à guider ceux qui se sentiraient le courage de travailler à l'instruction des autres, qu'à éclairer ceux qui ne s'instruisent que pour eux-mêmes !

C'est un avantage que nous nous sommes proposé ; mais ce n'est pas le seul. En réduisant sous la forme de dictionnaire tout ce qui concerne les sciences et les arts, il s'agissait encore de faire sentir les secours mutuels qu'ils se prêtent ; d'user de ces secours pour en rendre les principes plus sûrs et leurs conséquences plus claires, d'indiquer les liaisons éloignées ou prochaines des êtres qui composent la nature, et qui ont occupé les hommes ; de montrer par l'entrelacement des racines et par celui des branches, l'impossibilité de bien connaître quelques parties de ce tout, sans remonter ou descendre à beaucoup d'autres ; de former un tableau général des efforts de l'esprit humain dans tous les genres et dans tous les siècles ; de présenter ces objets avec clarté ; de donner à chacun d'eux l'étendue convenable ; et de vérifier, s'il était possible, notre épigraphe par notre succès :

Tantum series juncturaque pollet,
Tantum de medio sumptis accedit honoris !
1
Horat., De arte poet., v. 249

Jusqu'ici personne n'avait conçu un ouvrage aussi grand ; ou du moins personne ne l'avait exécuté. [...]

À l'aspect d'une matière aussi étendue, il n'est personne qui ne fasse avec nous la réflexion suivante : L'expérience journalière n'apprend que trop combien il est difficile à un auteur de traiter profondément de la science ou de l'art dont il a fait toute sa vie une étude particulière ; il ne faut donc pas être surpris qu'un homme ait échoué dans le projet de traiter de toutes les sciences et de tous les arts. Ce qui doit étonner, c'est qu'un homme ait été assez hardi et assez borné pour le tenter seul. Celui qui s'annonce pour savoir tout, montre seulement qu'il ignore les limites de l'esprit humain.

Nous avons inféré de là que, pour soutenir un poids aussi grand que celui que nous avions à porter, il était nécessaire de le partager, et sur-le-champ nous avons jeté les yeux sur un nombre suffisant de savants et d'artistes ; d'artistes habiles et connus par leurs talents; de savants exercés dans les genres particuliers qu'on avait à confier à leur travail. Nous avons distribué à chacun la partie qui lui convenait : les mathématiques, au mathématicien ; les fortifications, à l'ingénieur ; la chimie, au chimiste ; l'histoire ancienne et moderne, à un homme versé dans ces deux parties ; la grammaire, à un auteur connu par l'esprit philosophique qui règne dans ses ouvrages ; la musique, la marine, l'architecture, la peinture, la médecine, l'histoire naturelle, la chirurgie, le jardinage, les arts libéraux, les principaux d'entre les arts mécaniques, à des hommes qui ont donné des preuves d'habileté dans ces différents genres. Ainsi chacun, n'ayant été occupé que de ce qu'il entendait, a été en état de juger sainement de ce qu'en ont écrit les anciens et les modernes, et d'ajouter aux secours qu'il en a tirés des connaissances puisées dans son propre fonds : personne ne s'est avancé sur le terrain d'autrui, ni ne s'est mêlé de ce qu'il n'a peut-être jamais appris ; et nous avons eu plus de méthode, de certitude, d'étendue et de détails qu'il ne peut y en avoir dans la plupart des lexicographes. Il est vrai que ce plan a réduit le mérite d'éditeur à peu de chose ; mais il a beaucoup ajouté à la perfection de l'ouvrage ; et nous penserons toujours nous être acquis assez de gloire, si le public est satisfait.

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1. « Tant a d'importance le choix et l'arrangement des termes, tant peuvent prendre d'éclat des expressions empruntées au vocabulaire ordinaire ! » (tr. Garnier, 1944)

Diderot, Œuvres complètes, t. 13, Paris : Garnier frères, 1875-1877, p. 129-135.
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