Découvrir, comprendre, créer, partager

Extrait

« Ici d’une beauté mon âme s’est éprise »

Molière, L’École des femmes, acte I, scène 5

ARNOLPHE
Chacun a ses plaisirs, qu’il se fait à sa guise :
Mais pour ceux que du nom de galants on baptise,
Ils ont en ce pays de quoi se contenter,
Car les femmes y sont faites à coqueter.
On trouve d’humeur douce et la brune, et la blonde,
Et les maris aussi les plus bénins du monde :
C’est un plaisir de prince, et des tours que je vois,
Je me donne souvent la comédie à moi.
Peut-être en avez-vous déjà féru quelqu’une :
Vous est-il point encore arrivé de fortune ?
Les gens faits comme vous, font plus que les écus,
Et vous êtes de taille à faire des cocus.

HORACE
À ne vous rien cacher de la vérité pure,
J’ai d’amour en ces lieux eu certaine aventure,
Et l’amitié m’oblige à vous en faire part

ARNOLPHE
Bon, voici de nouveau quelque conte gaillard,
Et ce sera de quoi mettre sur mes tablettes.

HORACE
Mais, de grâce, qu’au moins ces choses soient secrètes.

ARNOLPHE
Oh.

HORACE
Vous n’ignorez pas qu’en ces occasions
Un secret éventé rompt nos prétentions.
Je vous avouerai donc avec pleine franchise,
Qu’ici d’une beauté mon âme s’est éprise :
Mes petits soins d’abord ont eu tant de succès,
Que je me suis chez elle ouvert un doux accès ;
Et sans trop me vanter, ni lui faire une injure,
Mes affaires y sont en fort bonne posture.

ARNOLPHE, riant.
Et c’est ?

HORACE, lui montrant le logis d’Agnès.
Un jeune objet qui loge en ce logis,
Dont vous voyez d’ici que les murs sont rougis,
Simple à la vérité, par l’erreur sans seconde
D’un homme qui la cache au commerce du monde,
Mais qui dans l’ignorance où l’on veut l’asservir,
Fait briller des attraits capables de ravir,
Un air tout engageant, je ne sais quoi de tendre,
Dont il n’est point de cœur qui se puisse défendre :
Mais, peut-être, il n’est pas que vous n’ayez bien vu
Ce jeune astre d’amour de tant d’attraits pourvu :
C’est Agnès qu’on l’appelle.

ARNOLPHE, à part.
Ah ! je crève.

HORACE
Pour l’homme,
C’est, je crois, de la Zousse, ou Souche, qu’on le nomme,
Je ne me suis pas fort arrêté sur le nom ;
Riche, à ce qu’on m’a dit, mais des plus sensés, non,
Et l’on m’en a parlé comme d’un ridicule.
Le connaissez-vous point ?

ARNOLPHE, à part.
La fâcheuse pilule !

HORACE
Eh ! vous ne dites mot.

ARNOLPHE
Eh oui, je le connois.

HORACE
C’est un fou, n’est-ce pas ?

ARNOLPHE
Eh...

HORACE
Qu’en dites-vous ? quoi ?
Eh ? c’est-à-dire oui. Jaloux ? à faire rire.
Sot ? Je vois qu’il en est ce que l’on m’a pu dire.
Enfin l’aimable Agnès a su m’assujettir,
C’est un joli bijou, pour ne vous point mentir,
Et ce serait péché, qu’une beauté si rare
Fût laissée au pouvoir de cet homme bizarre.
Pour moi, tous mes efforts, tous mes vœux les plus doux,
Vont à m’en rendre maître, en dépit du jaloux ;

Molière, L’École des femmes, acte I, scène 5
Œuvres de Molière, tome II, Michel Lambert (Paris), 1773
  • Lien permanent
    ark:/12148/mmgfq7xczgz33