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Focus

La reproduction d’œuvres d’art, une voie pour les photographes dans les années 1850

Autoportrait de Raphaël, d’après un dessin d’Aimé Millet de 1840
Autoportrait de Raphaël, d’après un dessin d’Aimé Millet de 1840

Bibliothèque nationale de France  

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De nos jours, les historiens et les collectionneurs ne s’intéressent plus guère aujourd’hui à la photographie de reproduction d’œuvres d’art : l’utilité pratique en est devenue secondaire. Mais au milieu du 19e siècle, il était communément admis, en particulier parmi les savants et les artistes, que c’était là une des applications par excellence de la photographie sur papier. Gustave Le Gray, en particulier, s’y dédie dans ses premières années de photographes.

L’héritière de la gravure

La photographie de la peinture vers 1850 se confrontait à de grandes difficultés. Outre le fait que l’original n’était pas toujours facile d’accès, la prise de vue directe d’une peinture rencontrait d’autres obstacles : les reflets et, surtout, la sensibilité très inégale aux différentes couleurs, de sorte que les valeurs étaient faussées. C’est pourquoi on photographiait rarement un tableau directement, mais plutôt soit un dessin de la composition, soit une gravure, c’est-à-dire une traduction préalable qui transposait les couleurs en termes de valeurs.

La Joconde, d’après un dessin d’Aimé Millet de 1848
La Joconde, d’après un dessin d’Aimé Millet de 1848 |

Bibliothèque nationale de France

Ainsi, pour photographier la Joconde, Le Gray n’aura pas recours au tableau lui-même, mais à un dessin commandé par l’État au sculpteur Aimé Millet en 1848. Cette étape intermédiaire entre l’original et la reproduction n’était, du reste, pas nouvelle. La photographie était ici encore l’héritière de l’estampe : dans la première partie du 19e siècle, en effet, il n’était pas rare, pour les reproductions de prestige, de commander un dessin préalable à un autre artiste avant l’intervention du graveur. Le prestige de la gravure au burin ne fait pas de doute, au moins dans un contexte académique. Au moment où Le Gray essayait de donner forme à ce que pourrait être un artiste photographe, la reproduction d’œuvres d’art était certainement une perspective professionnelle prometteuse, par émulation avec les graveurs.

Une voie pour de nombreux photographes

Tête de la Victoire sans ailes 
Tête de la Victoire sans ailes  |

Bibliothèque nationale de France

Des photographes comme Charles Nègre, Édouard Baldus, les frères Bisson, Charles Marville ou Pierre-Ambroise Richebourg durent une bonne partie de leurs revenus à ce type de production, sans compter Louis Désiré Blanquart-Évrard, dont l’entreprise était en grande part dirigée vers la diffusion photographique de l’art. Le mouvement reçut une impulsion décisive de l’intérêt personnel d’hommes tels que Léon de Laborde et Philippe de Chennevières, ainsi que de la commission des Monuments historiques. Parmi les élèves de Gustave Le Gray, Benjamin Delessert lui-même, amateur d’estampes, entreprit de reproduire l’œuvre gravé de Marc-Antoine Raimondi.

Gustave Le Gray n’échappe pas à ce mouvement : outre les Salons de 1851 à 1853, il photographie les cinquante-six sujets de Henri Lehmann pour la grande galerie des Fêtes de l’Hôtel de Ville de Paris, achevés en juillet 1853 mais sans doute photographiés dès 1852 d’après les cartons préparatoires, et publiés à compte d’auteur par le peintre au début de 1854. D’autres artistes, non des moindres, lui font reproduire leurs propres œuvres : Ingres, Ary Scheffer, Gérôme, Labouchère et Aimé Millet.

Peinture pour l’Hôtel de Ville de Paris : Henri Lehmann, Danse et musique
Peinture pour l’Hôtel de Ville de Paris : Henri Lehmann, Danse et musique |

Bibliothèque nationale de France