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La folie des épices

Les convoitises des Européens
Les convoitises des Européens

© Bibliothèque nationale de France

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Poivre, cannelle, gingembre : autant d’épices achetées à prix d’or durant tout le Moyen Âge, dont la quête motive les grandes expéditions navales.

Les épices et le poivre d’Orient étaient déjà en vogue dans le monde romain, mais leur consommation devint au Moyen Âge une véritable folie à laquelle l’Occident consacra l’essentiel de ses métaux précieux. Fernand Braudel rappelle à ce propos le proverbe ancien « cher comme poivre » et souligne que la manie des épices accommodait tous les mets, poissons, confitures, soupes, breuvages. Elles demeuraient surtout indispensables à l’agrément des viandes peu tendres, difficiles à conserver et insipides.

Pour varier ses préparations, le cuisinier n’avait à sa disposition que l’art des sauces. Pour relever ses plats, il utilisait donc aussi bien les herbes locales les plus courantes, telles que le thym, l’ail, la coriandre, la menthe ou l’anis, que les luxueuses épices venues d’Orient, la cannelle, le clou de girofle, la noix de muscade, le gingembre. D’Orient provenaient également l’encens, le camphre et beaucoup d’autres drogues et substances employées dans les cérémonies religieuses, dans la pharmacopée, dans la lutte quotidienne contre les mauvaises odeurs et les épidémies. Venant de l’Inde, de Ceylan, des îles de la Sonde et des Moluques, les épices arrivaient en Occident par la mer Rouge, l’Égypte ou la Syrie, au terme d’un transport long et onéreux dont le coût était majoré des bénéfices pris au passage par les États ou les princes qui prélevaient de lourdes taxes.

À l’arrivée des Portugais en Inde, en 1498, les trois grands centres de redistribution étaient Malacca, Calicut et Ormuz. Le poivre y était de loin le produit le plus recherché, car il accompagnait toutes sortes de plats. Les Chinois en faisaient eux-mêmes une grande consommation, bien plus considérable encore que celle des Occidentaux vers qui était acheminé environ le quart de la production asiatique. Produit en Inde dans le Malabar, dans la péninsule de Malacca et dans l’île de Sumatra, il était noir lorsqu’il séchait avec sa peau, et blanc si on retirait son enveloppe après l’avoir laissé mûrir plus longtemps.
Le gingembre vert se consommait surtout en salade, avec des légumes ou encore avec des boulettes de poisson. Une fois séché et enduit d’argile pour être conservé, il était qualifié de « rouge ». C’était encore le Malabar qui offrait la meilleure variété, ainsi que le Bengale, Madagascar et les îles Comores. Bon marché, il était le seul à coûter moins cher que le poivre.

Toute la cannelle fine venait de Ceylan. Elle provenait d’arbustes sauvages dont l’exploitation était un monopole royal. Elle était consommée dans la pâtisserie, les galettes et les bouillies de céréales.

Le macis (nom de l’écorce de la noix de muscade utilisée comme condiment) et la noix de muscade elle-même étaient produits exclusivement par les trois îles de Banda : Banda, la plus grande, Mira et Gunuape plus petites, situées au sud de Ceram. Les noix étaient conservées dans du vinaigre et exportées en pots. L’écorce et la noix pouvaient être aussi confites au sucre. On leur prêtait des vertus curatives contre les maladies nerveuses, voire contre la frigidité sexuelle.

Le clou de girofle était la spécialité des cinq îles des Moluques, Ternate, la plus grande, Tidore, Motel, Machien et Pachan. Les girofliers poussaient dans les bois sauvages des étroites plaines littorales qui entouraient les cônes volcaniques de ces îles. Les boutons des fleurs étaient séchés au soleil sur des nattes puis aspergés d’eau salée pour être conservés.

En plus des épices, les Portugais accédaient également aux « drogues » : le bétel et la noix d’arec, l’opium, l’ambre, le musc, la rhubarbe, le camphre, le benjoin, le santal, le lignaloès, le safran, la civette, l’encens, l’aloès, le cardamone, les myrobalans, etc. Ils constatèrent très vite que les princes locaux et leur entourage mastiquaient en permanence des feuilles dont ils ignoraient la nature. Il s’agissait des feuilles de bétel qui, entre autres vertus, servent à étancher la soif. Ils remarquèrent également l’importance de la consommation de l’opium en Inde, généralisée dès le plus jeune âge. L’ambre, dont la Chine effectuait une grande consommation et qui est produit par les concrétions intestinales des cachalots, se ramassait sur les plages des deux rives de l’océan Indien, sur les côtes de l’Afrique orientale et dans certaines îles. Le musc, lui, provenait de la sécrétion de la poche ombilicale des chevrotins mâles incisée à la pleine lune, sécrétion que l’on faisait ensuite sécher au soleil.