Les îles

Pour certains, les îles sont le lieu d’un peuplement résiduel d’avant le Déluge, d’où cette aura de félicité qui les entoure. Pour d’autres, selon l’enseignement de saint Augustin, elles font l’objet d’un peuplement plus tardif et progressif, d’où le nombre d’îles encore inconnues.
Cette signification est si forte que certaines îles, de façon quasi mimétique, ont pris la forme d’une « trace » ou d’un pied, telles les îles de Gadaronte dans l’Océan. De façon plus évidente encore, la Sardaigne en forme de pied humain semble la marque tangible de l’homme sur cette mer qui est sienne.

Îles de l’Océan

Les îles de l’Océan s’ordonnent en guirlande autour de la terre. Au nord-est se trouvent celles où vivent les Panoti, des hommes extraordinaires aux longues oreilles dont ils se drapent, puis l’île de Brindinnus, occupée par des hommes de petite taille, appelés Pygmées en grec, Nains, en latin.

Vers le nord, les îles de Riphargica, Taraconta (ou Taracontur), Gadarontha (Gadaronte), Mioparen, toutes empruntées à la cosmographie d’Aethicus Ister, sont le refuge de peuples redoutables : des forgerons, spécialistes des armes et des machines de siège, des musiciens. Là aussi vivent les Turcs, descendant de Gog et Magog, peuples barbares et impurs souillés pour avoir transgressé les tabous alimentaires fondamentaux en se nourrissant de chair et de fotus humains.

Vers l’occident, la Norvège est encore considérée comme une île. L’Islande a remplacé l’ancienne Thulé, visitée depuis le 7^e siècle par les marins et les moines scots et bien connue par les descriptions d’Adam de Brême au 11^e siècle. L’Irlande, la première des îles où apparaît une construction humaine, une ville forteresse, est suivie de l’Écosse étrangement détachée de l’Angleterre, elle-même soigneusement séparée de la Bretagne (Britannia). Ces îles connues, bien qu’elles semblent curieusement représentées, hérissées de villes, de châteaux et d’églises, apparaissent comme des îles civilisées, au point qu’il est parfois difficile de les séparer du continent. Ainsi le port de Wissant, point d’aboutissement traditionnel des Anglais débarquant de Douvres, a émigré des côtes de Flandre à celles d’Angleterre.

À l’ouest, beaucoup plus petites, peut-être pour en signifier l’éloignement, figurent les îles Cassitérides et surtout les trois îles Fortunées.

La côte méridionale

Nombreuses à l’ouest et au nord, les îles se font plus rares, au point de disparaître, sur la côte méridionale de la terre, là où aux rigueurs de l’Océan se joignent celles d’une chaleur torride qui fait, selon l’expression d’Honorius Augustodunensis, « bouillir l’eau comme dans une marmite ». La chaleur, conjuguée à l’humidité, rend ces espaces inaccessibles. Dans ces parages, on ne rencontre que l’île Perdue au large de l’Atlas, île introuvable autant que désirable où aurait abordé saint Brandan, et les Gorgades, îles des Gorgones.
L’Océan se fait ensuite désert, jusqu’au moment où l’auteur note qu’il devient navigable de l’île de Malicu jusqu’à la péninsule du Dekkan en Inde. Dans cet océan Indien se trouvent les îles d’or merveilleuses, où s’opèrent les chargements d’épices. Mais toute cette zone est dominée par la grande île de Taprobane, « comptant plus de 10 cités » bien qu’elle soit en partie inhabitable en raison du foisonnement des animaux féroces.

Îles de la Méditerranée

Les îles de la Méditerranée sont encore plus nombreuses que celles de l’Océan. C’est en effet autour de la « Grande Mer », « Notre Mer », la « Mer des hommes », que ceux-ci ont construit leur civilisation. Autour de la mappemonde, les légendes sur « les îles » traitent presque toutes de celles de la Méditerranée. Leur présence sur la carte est encore redoublée par des répétitions : ainsi certaines îles sont représentées deux fois sous deux noms différents, telle Délos appelée aussi Ortygie. D’autres encore, telles les îles Éoliennes, Lipari, Egonimon ou Ferecusa, sont répétées sous le même nom, comme s’il existait un flottement dans leur localisation exacte, soit qu’il ait fallu combler un vide, soit que deux scribes aient travaillé sans concertation.

D’ouest en est, après des îles de Gadès « où l’on peut visiter les Colonnes d’Hercule », là où les eaux de l’Océan pénètrent à l’intérieur des terres, s’égrènent des chapelets d’îles et d’archipels. D’abord l’archipel des Baléares où Majorque et Minorque, qui ne sont pas nommées, côtoient Ibiza (Ebosus), un peu à l’écart. Vient ensuite une succession de grandes îles dont l’importance se mesure à la taille, à la longueur des légendes qui les accompagnent – et débordent parfois sur le continent comme pour la Sardaigne – et au nombre de villes qu’elles renferment. La Sardaigne, la Sicile ou la Crète se dressent comme des citadelles au milieu des flots. Au contraire, la Corse fait encore figure de désert, bien que l’on y rapporte la légende qui lui a donné son nom.

Les îles grecques

La Crète, jetée comme un pont entre l’orient et l’occident, est occupée par une seule ville mais remplie d’une longue légende qui énumère, de façon paradoxale, ses abondantes ressources :

Elle regorge de chèvres et de cerfs, engendre des animaux nuisibles, nourrit les loups et les renards, mais regorge aussi d'arbres et de fruits. Il y a là une certaine herbe, qui procure l'amour et coupe l'appétit durant la journée. Elle se rendit célèbre d'abord par ses rames, ses flèches et ses lettres, enseigna l'art équestre et la musique. Elle engendre les tarentules venimeuses et une pierre appelée le dactyle. On y trouve aussi des chouettes et des serpents qui, si on les rencontre, meurent sur le champ.

L’auteur tente ainsi de tout dire dans un espace restreint, de tout mémoriser afin de tout savoir, de maîtriser une connaissance totale où se succèdent, sans transition, histoire, géographie et histoire naturelle.
Mis à part ces grandes îles singulières qui sont des mondes en soi, la mer foisonne de ces archipels regroupés le plus souvent autour d’une île principale. Après les îles Éoliennes, répétées plusieurs fois, et les Cyclades, la procession se poursuit : Naxos, Cythère, Pathmos, Chypre, Chyos, Samothrace, Samos. Hauts lieux de l’histoire, ces îles font de la Méditerranée le point d’ancrage de l’humanité.