Découvrir, comprendre, créer, partager

Focus

1855-1860 : la photographie dernière mode de Paris

Façade de l’atelier de Félix Nadar, 35 Boulevard des Capucines
Façade de l’atelier de Félix Nadar, 35 Boulevard des Capucines

Bibliothèque nationale de France

Le format de l'image est incompatible
Pour les photographes, 1855 est l’année de deux expositions : l’Exposition universelle, où la présence de la photographie est très remarquée, et la première exposition de la Société française de photographie. Le Gray expose en ces deux occasions.

Lors de la divulgation du procédé de Niépce et Daguerre en 1839, la curiosité des savants et des artistes s’était doublée de ce qui apparut dès lors comme une véritable “daguerréotypomanie” : le bourgeois se précipita chez les premiers photographes. Le procédé positif / négatif sur papier, inventé par Talbot en 1840 puis repris par Blanquart-Évrard, Guillot-Saguez et Le Gray, ne produisit rien de tel dans l’immédiat et sa pratique, même commerciale, se cantonna, socialement et esthétiquement, dans les limites d’une pratique essentiellement artistique.

C’est l’exploitation à grande échelle du négatif sur verre au collodion, alliant la précision du daguerréotype aux avantages de la multiplicité, qui permit de réunir tous les ingrédients nécessaires pour faire de la photographie sur papier une activité qu’on peut qualifier d’industrielle. Le public avait déjà goûté à la photographie, la prospérité du Second Empire l’incitait à la consommation d’un superflu récréatif et narcissique. Les inventions éminemment populaires de la stéréoscopie (1851) puis du portrait carte-de-visite (1854) vinrent à point pour galvaniser les ventes. La profession, qui auparavant n’avait nourri, économiquement, que des ambitions modestes, connut un afflux brutal d’argent.

Visite du Tzar aux Champs-Élysées
Visite du Tzar aux Champs-Élysées |

Bibliothèque nationale de France 

Ce goût pour la photographie est évidemment aussi un épiphénomène de la flambée plus générale des arts, portés par les commandes officielles, la multiplication des collections privées, les grands travaux de l’Empire et les Expositions universelles. S’échappant du cercle des esthètes, des savants et des curieux, la photographie devient un créneau d’investissement, les hommes de finance misent sur son avenir et sur les plus talentueux des praticiens. La faveur de la cour, de l’empereur lui-même, distingue quelques ateliers. Enfin, à l’emphase qui gagne la plume des chroniqueurs, on sent qu’on tient une vraie mode parisienne. Cette brève période d’adoration soudain déversée sur le médium correspond exactement aux années où Le Gray travaille boulevard des Capucines.

Portrait carte-de-visite de Napoléon III et de la famille impériale
Portrait carte-de-visite de Napoléon III et de la famille impériale |

Biliothèque nationale de France

À la fin de la décennie, pourtant, tout aussi brusquement, un véritable rejet de la photographie par les élites la laissera à nouveau, momentanément, aux petits-bourgeois, aux techniciens et aux scientifiques, qui lui assureront dans les années 1860-1880 une plus honnête prospérité. Ce revirement coïncidera précisément avec la chute de Le Gray. Baudelaire sonnera le tocsin en 1859 dans son pamphlet Le Public moderne et la photographie, qu’on lit trop souvent comme le témoignage isolé d’un esthète exaspéré face au triomphe irrésistible de la photographie, et pas assez comme le signe avant-coureur d’un dégoût plus général.