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Jean Moulin, héros de la Résistance

L'icöne du résistant, Jean Moulin
L'icöne du résistant, Jean Moulin

© Marcel Bernard/AFP

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« Entre ici, Jean Moulin, avec ton terrible cortège », s'exclame en 1964 André Malraux. En quelques mots, le préfet mort en martyr devient une fois pour toute l'incarnation de la résistance intérieure, héros de la patrie par excellence.

Entre ici, Jean Moulin, avec ton terrible cortège. Avec ceux qui sont morts dans les caves sans avoir parlé, comme toi ; et même, ce qui est peut-être plus atroce, en ayant parlé ; avec tous les rayés et tous les tondus des camps de concentration, avec le dernier corps trébuchant des affreuses files de Nuit et Brouillard, enfin tombé sous les crosses ; avec les huit mille Françaises qui ne sont pas revenues des bagnes, avec la dernière femme morte à Ravensbrück pour avoir donné asile à l'un des nôtres. Entre, avec le peuple né de l'ombre et disparu avec elle – nos frères dans l'ordre de la Nuit.

André Malraux, Discours lors du transfert des cendres de Jean Moulin au Panthéon
« Entre ici Jean Moulin. »
« Entre ici Jean Moulin. »
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Bibliothèque nationale de France

Dans la mémoire des Français, Jean Moulin incarne le héros par excellence de la Résistance intérieure. S’il n’occupe qu’une place modeste dans les premiers hommages et écrits sur la Résistance, en 1964, il prend valeur d’exemplarité par sa panthéonisation. Pourquoi ce choix, quels en sont les critères ? Il fallait une personnalité précocement engagée, ayant joué un rôle éminent dans la Résistance intérieure et entretenu de bonnes relations avec la France libre et son chef, devenu président de la Cinquième République, un résistant qui n’ait pas participé aux querelles de l’après-Libération, un résistant mort en martyr. Seul le préfet Jean Moulin satisfait à ces conditions. Fidèle serviteur du chef de la France libre, auréolé du prestige d’unificateur de la Résistance, estimé par la gauche depuis son passage au cabinet de Pierre Cot sous le Front populaire, il est mort sous la torture sans avoir parlé. L’initiative de promouvoir Jean Moulin revient, au printemps 1963, aux résistants de l’Hérault.

L'icône du résistant
L'icône du résistant
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Bibliothèque nationale de France

Relayée par la gauche, elle est récupérée par les gaullistes, et en premier lieu André Malraux, ministre d’État, chargé des Affaires culturelles et ancien résistant. Acceptée par de Gaulle, la proposition rencontre un consensus général. Les deux journées de cérémonie, 18 et 19 novembre 1964, connaissent leur apothéose avec le discours d’André Malraux et l’entrée de l’urne funéraire de Jean Moulin au Panthéon. La forte émotion soulevée par le discours de Malraux joue un rôle essentiel dans la construction du mythe Jean Moulin, héros des deux résistances, serviteur de l’État-France libre et préfet-citoyen, avocat de ceux d’en bas, mort en martyr clandestin. Pour Pierre Laborie : « Les incantations tragiques d’André Malraux ont porté la Résistance et le destin de Jean Moulin à la dimension intemporelle de l’épopée, les deux confondus dans une seule et même idée, dans l’image et le mythe d’une France identifiée à la “pauvre face informe” d’un visage supplicié. » Le discours transcende tous les clivages idéologiques comme le souligne Pierre Laborie citant le cas d’Olivier Rolin, ancien maoïste et membre de la Nouvelle Résistance populaire qui, dans son roman Tigre en papier (2002), se souvient avoir pleuré en écoutant Malraux ce jour-là et ajoute : « Je tiens à dire que j’ai toujours la gorge nouée de nouveau à chaque fois que j’entends ce discours, ou même que je le lis. » Que d’aucuns puissent trouver dans le discours, et chez l’orateur, plus de grandiloquence que de grandeur, il n’en demeure pas moins qu’au début de 2007, la séquence vidéo de cette cérémonie demeure l’une des plus téléchargées du site internet de l’Institut national de l’audiovisuel.

Une figure fédératrice

Si le choix de Jean Moulin ne fait pas problème, on peut s’interroger sur le moment auquel il intervient. Pourquoi en 1964 ? En quelles circonstances ? Un pouvoir gaulliste qui, après les meurtrissures de la guerre d’Algérie et l’affrontement conflictuel du référendum sur l’élection du président de la République au suffrage universel, cherche un symbole de réconciliation nationale par lequel la renommée et la popularité du Général se trouvent renforcées. Pour les forces de gauche, revitalisées par les mouvements sociaux de 1963, il est aisé de valoriser le personnage de Jean Moulin comme unificateur de la Résistance et instigateur du Conseil national de la Résistance, qui a réintroduit les partis politiques dans leur légitimité démocratique. Pour les moins scrupuleux en matière de rigueur historique, Jean Moulin peut même être associé à une « Résistance populaire » et à l’élaboration du programme du CNR – de neuf mois postérieur à son arrestation et fruit d’un organe nouveau, émancipé de la tutelle gaulliste. Ainsi André Wurmser déclare-t-il dans L’Humanité du 19 décembre 1964 : « Jean Moulin au Panthéon, cela veut dire que la France s’incline devant le premier président du CNR, dont le programme comportait une nationalisation des banques et des trusts. » Depuis, et sans guère désemparer, tous les médias ont contribué à conférer à Jean Moulin une célébrité sans pareille : travaux et colloques universitaires, biographies diverses, nombreux articles de presse, mention systématique dans les manuels scolaires, émissions de télévision. Dans les paysages urbains, les hommages rendus à Jean Moulin l’emportent sur tous les autres, il fait l’objet d’un « véritable culte rendu sur l’ensemble du territoire national [:] 37 monuments et stèles, 119 plaques et 978 boulevards, rues, places, squares et ponts. » Comme le héros antique, Jean Moulin est célébré pour lui-même – l’importance de son engagement, le courage de son sacrifice – et, au delà de sa personne, il symbolise la Résistance elle-même. Une Résistance perçue à travers le prisme de quelques valeurs de référence : patrie, unité, démocratie, respect de la dignité humaine…