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Des villes en crise ?

Pïllage de la ville de Grammont (1380)
Pïllage de la ville de Grammont (1380)

© Bibliothèque nationale de France

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La vie urbaine change de tonalité à partir du 14e siècle sous l’effet de l’emprise croissante du pouvoir royal (fiscalité), des crises économiques et des conflits sociaux liés à la paupérisation d’une grande partie de la population. Ce qui n’empêche pas l’émergence de nouveaux centres urbains.

Le blocage de la croissance au 14e siècle

Même en période de croissance, la ville intègre autant qu’elle exclut, refusant les fruits de la prospérité et les garanties des institutions communales aux serfs en fuite, aux ouvriers non intégrés aux métiers, aux mendiants et aux lépreux. En période de crise, les effectifs de ces groupes se gonflent dangereusement à chaque flambée des prix liée à une crise frumentaire, comme celle de 1315.

Au 14e siècle, des blocages de la croissance se révèlent de plus en plus désastreux. À cette époque, la société est consciente d’évoluer dans un «monde plein» arrivé aux limités de sa reproduction. La France compte alors, dans les limites du royaume, 16,5 millions d’habitants, et, dans les limites actuelles, environ 21 millions d’habitants. Les meilleures terres sont toutes mises en valeur par des tenures morcelées à l’extrême, sous l’effet de la pression démographique. Les derniers défrichements se sont attaqués aux terres moins fertiles, mais les résultats ne sont pas à la hauteur de l’énorme travail fourni. Ces tentatives s’arrêtent, la production agricole stagne désormais alors que la population continue d’augmenter. Il devient impossible de nourrir cette masse laborieuse croissante.

Allégorie de la pauvreté
Allégorie de la pauvreté |

© Bibliothèque nationale de France

Le système se grippe

Confrontés à ces difficultés, les seigneurs ne parviennent pas à maintenir leur niveau de prélèvement (en nature ou en argent sur les faibles revenus des tenanciers). Cette crise généralisée compromet le pouvoir d’achat de l’aristocratie, principale cliente pour les produits de luxe ; le grand commerce se trouve alors touché de plein fouet et toute la classe marchande voit son avenir compromis.
Dès lors, le système se grippe : les disettes graves accompagnées de véritables famines refont leur apparition. La chronique de Gilles le Muisit décrit dans toute son horreur et toute son ampleur la famine de 1315-1316 qui touche tout le nord-ouest de l’Europe.

Les retours de la peste

Épidémie de peste à Florence (1348)
Épidémie de peste à Florence (1348) |

Bibliothèque nationale de France

En 1347, une nouvelle famine s’abat sur l’Europe, et la peste va exercer ses ravages à partir de 1348 sur une population affaiblie. Les retours cycliques de la peste maintiennent la démographie à un niveau très bas, qui ne sera compensé qu’au 17e siècle dans de nombreuses régions. La peur et l’ignorance poussent les hommes à chercher des boucs émissaires et à se venger sur eux de ce fléau : les pogroms contre les juifs se multiplient en 1348 dans toute l’Europe, notamment en Alsace, ainsi que les violences contre les lépreux. À ce drame s’ajoutent les méfaits de la guerre de Cent Ans. Les Capétiens doivent en effet repousser les prérogatives continentales des souverains anglais, notamment en Guyenne, mais le bilan à la veille de la Peste noire est particulièrement lourd : depuis le début de la guerre, les Anglais accumulent les victoires (L’Écluse en 1340, Crécy en 1346 et Calais en 1347).

Les effets de la guerre

Ces défaites s’ajoutent aux crises du 14e siècle et ne manquent pas d’assombrir le paysage de cette fin du Moyen Âge, parfois appelée l’«automne du Moyen Âge» ou le «temps des malheurs».

La guerre a des conséquences dramatiques : désorganisation de l’économie (de la production comme des réseaux de distribution), destruction des récoltes et des habitations, pillages et violences. L’absence des seigneurs, enrôlés dans des actions militaires, désorganise les seigneuries et prive les paysans de leur défenseur attitré. La production agricole, vitale pour nourrir les villes, connaît des difficultés. La fiscalité royale augmente considérablement et de façon dramatique pour des populations appauvries, mais obligées de participer à l’effort de guerre. Les investissements productifs périclitent au profit des investissements non productifs (armes et ouvrages de défense).

L’émergence des villes

À la fin du Moyen Âge, les classes laborieuses montrent à plusieurs reprises qu’elles peuvent devenir des classes dangereuses : des commotions urbaines secouent le royaume de France quand la crise du 14e siècle commence à faire sentir ses effets sur les plus démunis. Dans Paris, devenue le centre de décision politique du pays, éclatent les poussées revendicatives, comme celle d’Étienne Marcel en 1356-1358.

Massacre des jacques à Meaux
Massacre des jacques à Meaux |

© Bibliothèque nationale de France

Cependant, au milieu des crises de l’«automne du Moyen Âge», émergent les grandes villes de foire (Venise, Milan, Gênes, Florence, Cologne, Lübeck, Bruges, Gand, Anvers,) et les capitales des États-nations (Paris, Londres, Barcelone, Naples). Elles dominent une masse de centres urbains de toutes tailles, travaillés eux aussi par la pression fiscale des États, les crises liées à la guerre de Cent Ans et à la Grande Peste (1348 et ses retours cycliques).

Malgré ces crises, à la fin du Moyen Âge, l’urbanité est devenue un mode de vie, une culture, une mentalité et un lieu de pouvoir avec lequel l’Église et la monarchie doivent compter.

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