Découvrir, comprendre, créer, partager

Article

Pouvoir de la papauté, désir de réforme : les questions religieuses dans l’Italie de la Renaissance

Le Concile de Trente (1545-1563)
Le Concile de Trente (1545-1563)

Bibliothèque nationale de France  

Le format de l'image est incompatible
Aux 15e et 16e siècles, l’Italie voit la papauté se renforcer et centraliser son pouvoir. Mais dans le même temps, en écho au mouvement européen de réforme, de nombreux clercs et laïcs aspirent à des changements profonds dans l’Église. Des mouvements qui ne résistent pas aux décisions du Concile de Trente.

La politique centralisatrice des papes au 15e siècle

Le pape Martin V nommé par le concile de Constance
Le pape Martin V nommé par le concile de Constance |

Bibliothèque nationale de France 

L’élection d’Oddone Colonna comme pape sous le nom de Martin V, en 1417, met fin au Grand Schisme, division de la Chrétienté entre plusieurs souverains pontifes, qui avait constitué une crise profonde pour l’Église. Le concile de Constance (1414-1418), réuni pour la résoudre, semble consacrer ainsi la victoire de la doctrine conciliariste, née au 14e siècle, et qui avait pour objectif de limiter les pouvoirs de la monarchie pontificale et de promouvoir un gouvernement collégial de la Curie.
Les successeurs de Martin V s’empressent toutefois de revenir sur ces acquis. Jusqu’à Alexandre VI (1492-1503), les papes poursuivent une politique de transformation du gouvernement de l’Église : refus du conciliarisme, renforcement de la primauté papale, italianisation de l’institution pontificale – quand bien même les pontifes ne sont pas Italiens. Cette nouvelle centralisation romaine ne s’accompagne pas d’une réforme de l’Église, alors même que les laïcs cherchent à approfondir leur foi.

De nouvelles formes de spiritualité en Europe et en Italie

Ces élans spirituels se manifestent au nord de l’Europe dans le courant de la devotio moderna (« dévotion moderne »), qui promeut une spiritualité fondée sur l’imitation du Christ. L’ouvrage emblématique de cette spiritualité, l’Imitatio Christi (« Imitation du Christ »), attribué à un moine de Deventer, Thomas a Kempis, connaît un immense succès. La devotio moderna marque la spiritualité latine et elle exerce une grande influence, notamment sur le grand humaniste Érasme de Rotterdam.

Traduction française de L’Imitatio Christi de Thomas a Kempis
Traduction française de L’Imitatio Christi de Thomas a Kempis |

Bibliothèque nationale de France  

Érasme de Rotterdam par Dürer
Érasme de Rotterdam par Dürer |

Bibliothèque nationale de France

Ces nouvelles formes de piété et de dévotion suscitent des condamnations de la corruption des clercs et des laïcs, à l’origine d’un mouvement anticlérical qui parcourt la société italienne du 15e siècle. À cette première forme de remise en question, il faut ajouter les conséquences de la redécouverte des textes anciens, qui engendre une nouvelle interrogation de la tradition chrétienne. À Bologne, le philosophe Pietro Pomponazzi conjecture sur un monde dépourvu d’Église. De son côté, l’homme politique et écrivain florentin Machiavel préfère les vertus antiques à l’éthique chrétienne.

Page de titre de L’Art de la guerre de Machiavel
Page de titre de L’Art de la guerre de Machiavel |

Bibliothèque nationale de France   

Sermon sur l’art de bien mourir de Savonarole
Sermon sur l’art de bien mourir de Savonarole |

Bibliothèque nationale de France   

L’urgence de réforme se fait pressante à la fin du 15e siècle, ouvrant la voie à des tentatives radicales comme celle de Girolamo Savonarole (1452-1498). Ce dominicain florentin dénonce la corruption des clercs depuis le couvent San Marco, à Florence, et appelle le clergé à réformer ses mœurs. En 1494, ses fidèles prennent le pouvoir dans la république florentine et ils y instaurent une théocratie. Dans ses sermons, le moine se répand en imprécations tonitruantes contre l’état actuel de l’Église et contre le pape Alexandre VI. Après la défaite de ses partisans en 1497, il est jugé pour hérésie et condamné au bûcher en 1498. Ces événements ont un grand retentissement en Italie et en Europe.

La Réforme et ses conséquences dans la première moitié du 16e siècle

Martin Luther (1483-1546) 
Martin Luther (1483-1546)  |

Bibliothèque nationale de France    

En 1517, Martin Luther formule à Wittenberg quatre-vingt quinze thèses remettant en question le dogme catholique. En 1521, la rupture avec Rome est consommée.
Le message luthérien se diffuse hors du Saint-Empire romain germanique, grâce à la circulation des imprimés. Il répond aux questionnements de nombreux fidèles et sa vision s’implante sous d’autres cieux, en particulier dans les cantons suisses, avec les réformateurs Ulrich Zwingli à Zurich et Jean Calvin à Genève.

Calvin dans son cabinet de travail
Calvin dans son cabinet de travail |

Bibliothèque nationale de France

Contrairement à une idée reçue qui voudrait que l’Italie ait été épargnée par la réforme protestante, la péninsule s’est révélée réceptive aux nouvelles idées réformées. En revanche, les idées luthériennes sont arrivées sur un terreau déjà fertile en doctrines réformatrices et manifestations d’anticléricalisme. Les syncrétismes se multiplient entre les différents courants réformateurs. Les sources de divergence religieuse dans la première moitié du 16e siècle sont nombreuses et plurielles. Un best-seller paru au début des années 1540, Il Beneficio di Christo, fruit d’un complexe travail rédactionnel réalisé par le bénédictin du Mont-Cassin, Benedetto Fontanini et par l’humaniste Marcantonio Flaminio, illustre le caractère protéiforme de la réforme italienne.

C’est pourquoi ils disent faussement, à l’encontre des saintes écritures et des saints docteurs de la sainte Église, que la foi seule ne justifie pas, mais qu’il faut des œuvres. Je leur réponds que cette foi historique et très vaine, avec les œuvres qui s’y ajoutent, non seulement ne justifie pas, mais plonge les hommes dans les profondeurs de l’enfer comme ceux qui n’ont pas d’huile dans leurs vases.

Il Beneficio di Christo, 1540

Luther brûle la bulle papale qui le condamne
Luther brûle la bulle papale qui le condamne |

Bibliothèque nationale de France   

Les œuvres de Luther et de Calvin circulent dans les États de la péninsule en dépit des condamnations pontificales et des efforts de l’Inquisition – congrégation fondée par le pape Paul III en 1542 pour lutter contre le protestantisme. Toutefois, les dissidents religieux italiens puisent à de nombreuses autres sources d’inspiration. Des foyers réformateurs apparaissent au sein des patriciats urbains, mais également au sein d’une partie des prélats. Les cardinaux et les évêques favorables à ces idées, à l’instar de Gasparo Contarini, de Giovanni Morone ou de l’anglais Reginald Pole, sont appelés les « Spirituali » (les « Spirituels »).

Papauté, concile et Contre-Réforme au 16e siècle

La marche au Concile

Alors même que se consomme la rupture avec Luther, celui-ci rédige un texte dans lequel il en appelle au concile pour le juger. Les papes des années 1520 et de la première moitié des années 1530 se montrent réticents à recourir à cette assemblée, dont ils redoutent les conséquences sur leur pouvoir. Un changement s’opère toutefois avec l’élection du pape Paul III en 1534 et, à partir de 1535, débute la lente marche qui aboutit au Concile de Trente.

Alessandro Farnese, devenu le pape Paul III en 1534
Alessandro Farnese, devenu le pape Paul III en 1534 |

Bibliothèque nationale de France 

Dans les premiers temps du pontificat de Paul III, un consensus se dégage sur les modalités de la réforme. Plusieurs hauts dignitaires religieux rédigent un texte connu sous le nom de Consilium de emendenda Ecclesia en 1537, qui propose une série de réformes : limiter les abus au sein de la Curie, corriger les ordres religieux et contrôler la prédication. Toutefois, cette apparente unité se fragmente et deux factions se font face à la fin des années 1530 : d’un côté un groupe mené par le cardinal Gian Pietro Carafa, faisant primer la lutte contre l’hérésie ; de l’autre, les « Spirituali », voyant dans la réforme in capite et in membris (« dans la tête et dans les membres ») le remède aux fractures de la Chrétienté.

Le Concile de Trente, « Iliade de notre siècle »

Le 13 décembre 1545, à Trente, débute finalement un concile appelé à durer près de vingt ans. Il se déroule entre 1545 et 1563 au cours de trois sessions : la première courant de 1545 à 1549, d’abord à Trente puis à Bologne à partir de 1547 ; la seconde de 1551 à 1552 ; et la troisième, après une rupture et de longues négociations, de janvier 1562 à décembre 1563.

Un homme de valeur m’a dit que le concile a ressemblé à un gâteau qui, quand il est fait, est doux et savoureux au goût, mais qui soulève l’estomac quand on le voit faire. Ainsi le concile : depuis qu’il a été établi et conclu, il est extrêmement précieux pour les très saintes constitutions qui y sont ordonnées ; mais c’est un objet de dégoût de le voir se dérouler, en raison des intrigues humaines qui y ont concouru.

Lettre de l’ambassadeur du duc de Savoie à Rome

Des conséquences majeures

Premier catéchisme pour les petits enfants, à l’usage du diocèse de Saint-Malo
Premier catéchisme pour les petits enfants, à l’usage du diocèse de Saint-Malo |

Bibliothèque nationale de France

Le concile de Trente a eu d’importantes conséquences pour la Chrétienté. La papauté en est sortie renforcée, la centralisation de la monarchie pontificale initiée par les papes de la Renaissance étant actée. La distinction entre clercs et laïcs est réaffirmée, en opposition aux revendications de la Réforme. Les protestants et leurs idées sont condamnés, coupant court à toute tentative de dialogue.
Enfin, les catholiques opèrent une définition du dogme : justification par la foi et par les œuvres, rôle de la Tradition, caractère sacrificiel de la messe. Ils réitèrent leur volonté de mettre un terme aux abus, comme le concubinage des prêtres. En 1564, le pape Pie IV fulmine une bulle qui confirme les décrets conciliaires.

Acta concilii Tridentini
Acta concilii Tridentini |

Bibliothèque nationale de France  

Biblia sacra Vulgatae editionis, dite Vulgate sixto-clémentine
Biblia sacra Vulgatae editionis, dite Vulgate sixto-clémentine |

Bibliothèque nationale de France

Les interprétations du concile de Trente sont multiples. Il peut être lu comme une manifestation de la Contre-Réforme, c’est-à-dire du mouvement conduisant à lutter contre les protestants et à une fermeture de l’Église sur elle-même.
Il peut aussi être perçu comme le symbole d’une réforme tridentine caractérisée par des formes de renouveau, à l’instar des ordres religieux avec la Compagnie de Jésus ou les Capucins. L’Église tridentine met en avant des figures incarnant l’idéal pastoral, comme Charles Borromée (1538-1584), évêque de Milan, qui accomplit une réforme de son diocèse prise en exemple. Canonisé dès 1610, il devient une figure emblématique des changements de l’Église post-conciliaire.

Saint Charles Borromée donnant la communion aux pestiférés de Milan
Saint Charles Borromée donnant la communion aux pestiférés de Milan |

Bibliothèque nationale de France

Provenance

Cet article est publié à l’occasion de l’exposition « L’invention de la Renaissance. L’humaniste, le prince et l’artiste » présentée à la Bibliothèque nationale de France du 20 février au 16 juin 2024.

Lien permanent

ark:/12148/mmjpv1xcvg6fk