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Derniers mythes géographiques

Carte de l’île de Cayenne
Carte de l’île de Cayenne

© Bibliothèque nationale de France

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Au 18e siècle, les grands voyages océaniques apportèrent des réponses à plusieurs mystères de la géographie. Ils déracinèrent certains mythes, souvent difficilement, et donnèrent naissance à d’autres.

L’existence de la mer de l’Ouest et du détroit de Fonte

Nous avons vu comment l’île de Californie et la Terre australe avaient longtemps aveuglé les cartographes. Ce fut le cas aussi du prétendu voyage de l’amiral de Fonte qui mystifia les géographes français du 18e siècle. Le premier abusé fut l’éminent Joseph-Nicolas Delisle dont le frère Guillaume, premier géographe du roi, avait déjà fait apparaître dans ses cartes d’Amérique, vers 1700, une « mer de l’Ouest » qui creusait fortement la côte au nord de la Californie, à la hauteur des grands lacs, et qui, si elle avait existé, aurait donc permis aux voyageurs de pénétrer très avant dans le continent américain. La relation du voyage de l’amiral espagnol de Fuente, francisé en de Fonte, venait confirmer à point nommé l’existence de cette mer. Son texte n’était pas particulièrement récent, puisque ce voyage datait de 1640, mais Delisle attribuait ce délai au secret qui entourait les découvertes espagnoles. Lui-même n’en eut connaissance qu’en 1739 par l’intermédiaire d’une traduction anglaise du début du siècle. En remontant la côte californienne, de Fonte aurait découvert un extraordinaire réseau de navigation intérieure et notamment un détroit permettant de passer de l’océan Pacifique à la baie d’Hudson.

Carte des découvertes de l’amiral de Fonte
Carte des découvertes de l’amiral de Fonte |

© Bibliothèque nationale de France

Un autre important géographe parisien, Philippe Buache, s’empara de cette découverte séduisante qui venait renforcer ses théories physiques, et en établit de savantes cartes. Malgré le scepticisme de certains confrères et de l’Académie, cette hypothèse garda des partisans irréductibles, tel Dalrymple, jusqu’à la fin du 18e siècle. Cook et Lapérouse, bien que peu convaincus de leur existence, allèrent vérifier sur place l’existence de la mer de l’Ouest et du détroit de Fonte. George Vancouver enfin, en 1792-1794, dissipera les dernières illusions.

L’île ou presqu’île de Yeso

À la même époque, la terre de Yeso, aujourd’hui Hokkaido, au nord du Japon, divisait aussi les géographes qui ne savaient s’il s’agissait d’une île ou d’une presqu’île.
Les pays qui revendiquaient sa possession influençaient naturellement les interprétations des hommes de science. Les Japonais avaient intérêt à ce que Yeso fasse partie de leur archipel ; les Chinois avaient tendance à la rattacher à la Tartane et les Russes en faisaient le prolongement du Kamtchatka. « Un si beau nom a réveillé tous les curieux d’Europe, surtout ceux du métier Messieurs les Géographes de profession », écrivit un contemporain. Les cartes de Yeso restèrent effectivement des plus fantaisistes, jusqu’au voyage de Lapérouse qui donna à Sakhaline une véritable existence géographique, entre le Kamtchatka et l’île de Yeso qui se trouvait ainsi rapprochée du Japon.

Carte de l’île de Ieso et de ses environs
Carte de l’île de Ieso et de ses environs |

© Bibliothèque nationale de France

Le mythe du bon sauvage

D’autres mythes naquirent des relations de voyages elles-mêmes, qui devinrent un genre littéraire très populaire. Leurs éditions se multiplièrent, le public y trouvant son compte de frissons et de rêves. Le bon sauvage fut parmi les premiers. Nous en avons déjà dit quelques mots à propos de l’Amérique. Rousseau et les philosophes s’en emparèrent et Diderot, dans son Supplément au voyage de Bougainville, balaya les réserves du navigateur. Le sauvage, dit-il, est normalement « innocent et doux ». Et ses mœurs sont plus sages et honnêtes que celles des Européens. La monogamie chrétienne elle, est « opposée à la nature, contraire à la raison, faite pour multiplier les crimes ». Et, selon lui, l’arrivée des étrangers, « empoisonneurs de nations », annonçait la déchéance de la civilisation polynésienne.

Le mythe des îles

Dans le même esprit, Lapérouse, en digne héritier des Lumières et en homme étonnamment moderne, refusera de prendre possession au nom du roi de France des îles Hawaï, encore inexplorées. Il fustigera les Européens qui « regardent comme un objet de conquête une terre que ses habitants ont arrosée de leur sueur et qui, depuis tant de siècles, sert de tombeau à leurs ancêtres ». « Les navigateurs modernes », écrivait-il, « n’ont pour objet, en décrivant les mœurs des peuples nouveaux, que de compléter l’histoire de l’homme ; leur navigation doit achever la reconnaissance du globe et les lumières qu’ils cherchent à répandre ont pour unique but de rendre plus heureux les insulaires qu’ils visitent et d’augmenter leurs moyens de subsistance ». Le mythe des îles devint le symbole de l’optimisme humaniste des Lumières. Aux îles à épices de l’océan Indien, où la fortune était à portée de la main de tous les audacieux, vinrent s’ajouter les îles enchanteresses du Pacifique, derniers témoins du paradis perdu.

Le mythe des découvertes

Enfin, au moment où la navigation à la voile devint scientifique, avec la généralisation des sextants et des chronomètres, dans les années 1840, au moment aussi où elle commença de laisser la place à la navigation à vapeur et où l’essentiel de notre planète se trouva visitée, les découvertes elles-mêmes accédèrent au rang de mythes, dont la littérature s’empara alors pour notre plus grand plaisir.

Carte marine de la Méditerranée
Carte marine de la Méditerranée |

Bibliothèque nationale de France / Société de géographie


Pourquoi donc ne pas laisser à Jules Verne le mot de la fin, qui écrit dans les Enfants du capitaine Grant « Est-il une satisfaction plus vraie, un plaisir plus réel que celui du navigateur qui pointe ses découvertes sur la carte du bord ? Il voit les terres se former peu à peu sous ses regards, île par île, promontoire par promontoire, et, pour ainsi dire, émerger du sein des flots ! D’abord, les lignes terminales sont vagues, brisées, interrompues ! Ici un cap solitaire, là une baie isolée, plus loin un golfe perdu dans l’espace. Puis les découvertes se complètent, les lignes se rejoignent, le pointillé des cartes fait place au trait ; les baies échancrent des côtes déterminées, les caps s’appuient sur des rivages certains ; enfin le nouveau continent, avec ses lacs, ses rivières et ses fleuves, ses montagnes, ses vallées et ses capitales se déploie sur le globe dans toute sa splendeur magnifique ! Ah ! Mes amis, le découvreur de terres est un véritable inventeur ! Il en a les émotions et les surprises ! Mais maintenant cette mine est à peu près épuisée ! On a tout vu, tout reconnu, tout inventé en fait de continents ou de nouveaux mondes, et nous autres, derniers venus dans la science géographique, nous n’avons plus rien à faire ! »

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