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Préface

Histoire de ma vie
Préface
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Pour échapper à la mélancolie qui le gagne, dans l’isolement de Dux en Bohême, où il est bibliothécaire du comte de Waldstein, Casanova, en écrivant ses mémoires, suit la prescription de son médecin, le Dr Jacobus O’Reilly : « Vous n’avez qu’à récapituler les beaux jours passés en Venise et autres parts du monde », lui recommande-t-il. (Histoire de ma vie, I, p. 3-4)

Transcription du texte :
« Un Ancien me dit d’un ton d’instituteur : si tu n’as pas fait des choses dignes d’être écrites, écris-en du moins qui soient dignes d’êtres lues. C’est un précepte aussi beau qu’un diamant de première eau brillanté en Angleterre ; mais il m’est incompétent, car je n’écris ni l’histoire d’un illustre, ni un roman. Digne ou indigne, ma vie est ma matière, ma matière est ma vie. L’ayant faite sans avoir jamais cru que l’envie de l’écrire me viendrait, elle peut avoir un caractère intéressant qu’elle n’aurait peut-être pas, si je l’avais faite avec intention de l’écrire dans mes vieux jours, et qui plus est de la publier.
Dans cette année 1797, à l’âge de soixante et douze ans, où je peux dire vixi, quoique je respire encore, je ne saurais me procurer un amusement plus agréable que celui de m’entretenir de mes propres affaires, et de donner un noble sujet de rire à la bonne compagnie qui m’écoute, qui m’a toujours donné des marques d’amitié, et que j’ai toujours fréquentée. Pour bien écrire, je n’ai besoin que de m’imaginer qu’elle me lira : Quaecumque dixi, si placuerint, dictavit auditor. Pour ce qui regarde les profanes que je ne pourrai empêcher de me lire, il me suffit de savoir que ce n’est pas pour eux que j’ai écrit.
Me rappelant les plaisirs que j’eus je me les renouvelle, et je ris des peines que j’ai endurées, et que je ne sens plus. Membre de l’univers, je parle à l’air, et je me figure de rendre compte de ma gestion, comme un maître d’hôtel le rend à son seigneur avant de disparaître. Pour ce qui regarde mon avenir, je n’ai jamais voulu m’en inquiéter en qualité de philosophe, car je n’en sais rien ; et en qualité de chrétien la foi doit croire sans raisonner, et la plus pure garde un profond silence. Je sais que j’ai existé, et en étant sûr parce que j’ai senti, je sais aussi que je n’existerai plus quand j’aurai fini de sentir. S’il m’arrive après ma mort de sentir encore, je ne douterai plus de rien ; mais je donnerai un démenti à tous ceux qui viendront me dire que je suis mort.
Mon histoire, devant commencer par le fait le plus reculé que ma mémoire puisse me rappeler, commencera à mon âge de huit ans, et quatre mois. Avant cette époque, s’il est vrai que vivere cogitare est, je ne vivais pas : je végétais. » 

Bibliothèque nationale de France

  • Date
    1789-1798
  • Lieu
    Dux
  • Auteur(es)
    Giacomo Casanova (1725-1798), auteur
  • Provenance

    BnF, Département des Manuscrits, NAF 28604 (1) fol. 6v

  • Lien permanent
    ark:/12148/mm126200254j