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Sariputra et les Six Maîtres d’erreur

Le Combat magique entre Raudraksa et Sariputra
Sariputra et les Six Maîtres d’erreur
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Bien des réflexions ont été menées à propos de ce célèbre rouleau, unique en son genre, qui combine un recto illustré et un verso de texte versifié en relation avec les scènes peintes. Celui-ci se rattache aux bianwen, chantefables ou « textes de transformation », genre qui a lui aussi fait l’objet de nombreuses études et de débats entre spécialistes qui ne s’accordent pas sur le sens à donner à ce terme. La découverte révélée par Dunhuang de ce genre littéraire abondamment représenté dans la grotte n° 17 permet d’éclairer les origines de la littérature narrative chinoise ; le bianwen se caractérise par l’alternance de parties en prose et de parties versifiées ; le verso de ce rouleau ne contient qu’une section en vers heptasyllabiques, dans une langue semi-vernaculaire.

Ce document serait l’unique spécimen existant des rouleaux décorés d’illustrations narratives que les conteurs ou les moines présentaient au cours de séances publiques de prédication à l’époque des Tang. Ceux-ci étaient montrés ouverts de manière à ce que les spectateurs n’en voient qu’une seule scène à la fois ; des arbres d’espèces différentes les séparent les unes des autres. Le peintre de ce rouleau n’ajoute aucun luxe et tire habilement parti d’une palette assez pauvre, ainsi, malgré la description de la cuirasse d’or de Vaisravana, l’image n’est teintée que d’un jaune ordinaire. Le dessin a d’abord été exécuté au trait noir, comme toujours, puis l’intérieur de certaines zones a été aquarellé d’un pinceau léger tout en laissant de grandes parties de papier non recouvertes de couleur.

Cette représentation du combat de la Vraie Loi contre les hérésies rappelle la situation historique des premiers temps du bouddhisme, quelques siècles avant le début de notre ère, lorsque la nouvelle religion du Bouddha Gautama chercha à s’imposer au détriment d’autres sectes établies. Le combat prend comme point de départ un conflit portant sur l’attribution d’un terrain, le jardin Jetavana du prince Jeta, destiné à l’érection d’un monastère bouddhique à Sravasti, la capitale d’un royaume indien ; ce projet est contesté par les adversaires du bouddhisme ; il est alors décidé que les deux clans s’affronteront dans une joute arbitrée par le roi Prasenajit sous les yeux de toute la population réunie.

À la tête du camp des six maîtres hérétiques est placé le magicien Raudraksa (Laoducha). Sariputra (Shelifo), l’un des disciples les plus proches du Bouddha, connu pour sa sagesse, est désigné comme le champion des bouddhistes. Les épisodes se succèdent avec pour issue la victoire répétée de Sariputra, chaque camp est présenté de part et d’autre de l’arène, chaque concurrent assistant aussi au triomphe de sa cause comme spectateur, sous l’arbitrage du roi et de son entourage, garants de l’objectivité des résultats ; la bataille est livrée à coups de métamorphoses magiques. Ce duel est une représentation concrétisée de notions métaphysiques et chaque élément possède une valeur symbolique, ainsi, lorsque Sariputra suscite un grand éléphant, celui-ci représente le Bouddha lui-même, désigné parfois sous le nom d’« éléphant parfumé », le blanc étant la couleur de la pureté et les six défenses de l’animal symbolisant les six pouvoirs de pénétration transcendante du Bouddha.
La peinture associe une iconographie chinoise à d’autres éléments sérindiens en un mélange unique qui ne pouvait sembler naturel qu’à un auditoire habitué à la diversité des influences régionales.

Les hérétiques présentent des traits apeurés, grimaçants et grotesques ; l’un des moyens de les ridiculiser est de montrer leurs corps largement dénudés, tenues incorrectes comparées à celles d’autres personnages ; les visages offrent des mimiques expressives : crainte ou supplication des adversaires vaincus, yeux écarquillés des spectateurs, impassibilité méditative et maîtrise de soi de Sariputra et de son entourage, qui permettent au public de situer clairement les camps.
Ce rouleau nous rappelle combien Dunhuang, établi à l’extrémité occidentale du territoire chinois, était ouvert aux multiples influences de la Chine et de la Sérinde ; les tenues vestimentaires et les coiffures témoignent de la présence de populations aux coutumes très variées, depuis des brahmanes à chignons, revêtus de pagnes à l’indienne, jusqu’à la foule bigarrée d’une grande diversité physique.

Bibliothèque nationale de France

  • Date
    Tang ou Cinq Dynasties, 9e-10e siècle
  • Description technique
    Rouleau de 12 feuilles de papier beige clair, incomplet au début et à la fin, illustration au recto, texte au verso, 27,5 x 571,3 cm
  • Provenance

    BnF, département des Manuscrits, PELLIOT CHINOIS 4524

  • Lien permanent
    ark:/12148/mmdkj30brv7p