Découvrir, comprendre, créer, partager

Image

Faust et Méphistophélès dans la taverne des étudiants

Illustrations du Faust de Gœthe par Eugène Delacroix
Faust et Méphistophélès dans la taverne des étudiants
Le format de l'image est incompatible

Au cours d'une beuverie d'étudiants, Méphisto fait jaillir du vin de la table. Mais le vin, coulant à terre, se change en flammes. Delacroix choisit le moment le plus dramatique et renforce l'intensité de la scène par l'éclairage provenant des seules flammes. Elles illuminent les poses théâtrales et contrastées des convives. Face à leur stupeur ou leur colère – l'un d'eux a même dégainé un poignard, Méphisto conserve une impassibilité moqueuse et, les bras croisés, balance ses jambes négligemment. À gauche, Faust, réservé et distant, se tient en retrait, dans l'ombre.

Texte de Goethe traduit par Gérard de Nerval

Méphistophélès : je boirais volontiers un verre en l'honneur de la liberté, si vos vins étaient tant soit peu meilleurs.
Siebel : N'en dites pas davantage.
Méphistophélès : Je craindrais d'offenser l'hôte sans quoi je ferais goûter aux aimables convives ce qu'il y a de mieux dans notre cave.
Siebel : Allez toujours ! je prends tout sur moi.
Frosch : Donnez-nous un b on verre, si vous voulez qu'on le loue, car, quand je veux en juger, il faut que j'aie la bouche bien pleine.
Altamyer (bas) : Ils sont du Rhin, à ce que je vois.
Méphistophélès : Procurez-moi un foret !
Brander : Qu'en voulez-vous en faire ? Vous n'avez pas sans dote vos tonneaux devant la porte.
Altamyer : Là derrière, l'hôte a déposé un panier d'outils.
Méphistophélès (prend le foret de Frosch) : Dites maintenant ce que vous voulez goûter.
Frosch : Y pensez-vous ? est-ce que vous en auriez de tant de sortes ?
Méphistophélès : Je laisse à chacun le choix libre.
Altmayer (à Frosch) : Ah ! ah ! tu commences déjà à te lécher les lèvres.
Frosch : Bon ! si j'ai le choix, il me faut du vin du Rhin ; la patrie produit toujours ce qu'il y a de mieux.
Méphistophélès (piquant un trou dans le rebord de la table, à la place où Frosch s'assied) : Procurez-moi un peu de cire pour servir de bouchon.
Altamyer : Ah çà ! voilà de l'escamotage.
Méphistophélès (à Brander) : Et vous ?
Brander : Je désirerais du vin de Champagne, et qu'il fût bien mousseux (Méphistophélès continue de forer, et pendant ce temps quelqu'un a fait des bouchons, et les a enfoncés dans les trous.)
Brander : On ne peut pas toujours se passer de l'étranger ; les bonnes choses sont souvent si loin ! Un bon Allemand ne peut souffrir les Français, mais pourtant il boit leurs vins bien volontiers.
Siebel (pendant que Méphistophélès s'approche de sa place) : Je dois l'avouer, je n'aime pas l'aigre ;  donnez-moi un verre de quelque chose de doux.
Méphistophélès (forant) : Aussi vais-je faire couler du Tokay.
Altmayer : Non, monsieur ; regardez-moi en face ! Je le vois bien, vous nous faites aller.
Méphistophélès : Hé hé ! avec d'aussi noble convives, ce serait un peu trop risquer. Allons vite ! voilà assez de dit : de quel vin puis-je servir ?
Altmayer : De tous ! et assez causé ! (Après que les trous sont forés et bouchés, Méphistophélès se lève)

Méphistophélès (avec des gestes singuliers) :

Si des cornes bien élancées
Croissent au fond du bouquetin ;
Si le cep produit du raison,
Tables en bois de trous percées
Peuvent aussi donner du vin.
C'est un miracle, je vous jure ;
Mais messieurs, comme vous le savez,
Rien d'impossible à la nature !
Débouchez les trous, et buvez !

Tous (tirant les bouchons et recevant dans leurs verres le vin désiré par chacun) : La belle fontaine qui nous coule là !
Méphistophélès : Gardez-vous seulement de rien répandre.
Tous (chantent) : Nous buvons, buvons, buvons, comme cinq cents cochons !
Ils se remettent à boire.
Méphistophélès : Voilà mes coquins lancés, vois comme ils y vont.
Faust : J'ai envie de m'en aller.
Méphistophélès : Encore une minute d'attention, et tu vas voir la bestialité dans toute sa candeur.
Siebel (boit sans précaution, le vin coule à terre et se change en flamme) : Au secours ! au feu ! au secours ! l'enfer brûle !
Méphistophélès (parlant à la flamme) : Calme-toi, mon élément chéri ! (Aux compagnons.) Pour cette fois, ce n'était rien qu'une goutte de feu du purgatoire.
Siebel : Qu'est-ce que cela signifie ? Attendez ! vous le payerez cher ; il paraît que vous ne nous connaissez guère.
Frosch : Je lui conseille de recommencer !
Altmayer : Mon avis est qu'il faut le prier poliment de s'en aller.
Siebel : Que veut ce monsieur ? Oserait-il bien mettre en œuvre ici son hocuspocus (terme de sorcellerie)
Méphistophélès : Pais ! Vieux sac à vin !
Siebel : Manche à balai ! tu veux encore faire le manant !
Brader : Attends un peu ;, les coups vont pleuvoir !
Altmayer (tire un bouchon de la table, un jet de feu s'élance et l'atteint) : Je brûle ! je brûle !
Siebel : Sorcellerie ! ... sautez dessus ! le coquin va nous le payer !
Ils tirent leurs couteaux, et s'élancent vers Méphistophélès.

Méphistophélès  (avec des gestes graves) :
Tableaux et paroles magiques
Par vos puissants enchantements,
Troublez leurs esprits et leurs sens !

(Ils se regardent l'un l'autre avec étonnement)
[...]
Méphistophélès : Maintenant partons : c'est assez !
Source de vin, riche vendange,
Illusions, disparaissez !
C'est ainsi que l'enfer se venge.
Il disparaît avec Faust ; tous les compagnons lâchent prise.

Bibliothèque nationale de France

  • Date
    1827
  • Lieu
    Paris
  • Auteur(es)
    Eugène Delacroix (1789-1863), lithographe
  • Description technique
    Illustrations du Faust de Goethe par Eugène Delacroix (1798-1863)
  • Provenance

    BnF, département des Estampes et de la Photographie, RESERVE DC-183 (N, 3)-FOL

  • Lien permanent
    ark:/12148/mm5v90gkvcs9f