Les Muses, dit aussi parfois Dans le parc

« Lorsque j’ouvris mon magasin rue Laffitte, en 1894, le mouvement impressionniste triomphait. Pourtant, déjà, certains cherchaient ailleurs. C’est que la peinture n’est pas chose immuable. Comment échapperait-elle à ce besoin de renouvellement, à cette évolution incessante qui se manifeste dans toutes les formes de l’art ? C’est aussi un fait que ces formes réagissent réciproquement. Mais tantôt l’une, tantôt l’autre prédomine et donne l’impulsion. En général, c’est la littérature qui prend la tête du mouvement. Elle fournit à la fois la théorie et l’exemple dont s’inspireront, tour à tour, la musique et les arts plastiques. À l’époque dont je parle, c’est la musique qui prévalait. Or, qu’est-ce que la musique ? Une sorte d’incantation. Elle ne définit pas. Elle ne vise directement ni à démontrer ni à décrire. Elle captive précisément par ce qu’elle a de flottant, de vaporeux, d’indéterminé. Elle s’alimente aux sources du mystère, aux mythes, aux légendes et, de ce qu’elle leur emprunte, elle crée des états d’esprit, une atmosphère propice à la passion ou à la rêverie. Sous son enchantement, et aussi, d’ailleurs, en réaction brutalités du réalisme, d’ailleurs, contre la froide perfection parnassienne, on avait vu les écrivains et surtout les poètes s’appliquer à rechercher ce charme presque immatériel, qui réside dans le du sujet ; à provoquer, eux aussi, ces élans de sensibilité, ces états d’âme, cet enthousiasme où les jetait l’exaltation musicale. Désormais, on ne décrira plus, on évoquera. On ne précisera plus, on suggérera. Le poète se donnera pour mission d’ouvrir seulement des perspectives. Le poème se prolongera dans la libre et émouvante méditation du lecteur. Le prestige de l’œuvre de Wagner suscite ainsi l’ésotérisme d’un Mallarmé et le “de la musique avant toute chose” d’un Verlaine. C’est le moment symboliste. »

Ambroise Vollard, Souvenirs d’un marchand de tableaux, Paris, A. Vollard éditions, 1937, p. 279.