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Les Poètes maudits

Eugène Viala, Les poètes, 1906-1907
Eugène Viala, Les poètes, 1906-1907

Bibliothèque nationale de France

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Marqués par la misère, le scandale ou la maladie, les « poètes maudits » incarnent au 19ᵉ siècle la figure de l'artiste en marge, brûlant d’absolu face aux petitesses de la société.

La formule poètes maudits apparaît en 1883 sous la plume de Verlaine, comme titre d’une série de brefs essais qu’il commence alors et qui seront publiés en recueil en 1888. Il donne ainsi un nom à une figure en fait traditionnelle, présente déjà chez Cyrano de Bergerac au milieu du 17e siècle, et surtout reprise par Vigny dans les trois récits qui composent Stello, en 1832.

La figure du poète maudit et son évolution

Durant presque tout le 19e siècle, cette figure donne une expression littéraire au statut souvent marginal des poètes. Leur génie, qui les fait aspirer à l’« absolu », c’est-à-dire à ce qui est détaché de tout, entraîneraient en effet chez eux une incapacité à s’adapter à la société et plus largement à la réalité. 

Dans la deuxième moitié du siècle, plusieurs phénomènes infléchissent le sens de la notion. Plus que jamais, la société vit à l’heure de l’industrialisation, du triomphe de l’argent et de l’idéologie positiviste et scientiste. Dans un tel contexte, le lyrisme peine à trouver une place. Vers la fin des années 1870, le désenchantement poétique trouve en outre à s’alimenter à la philosophie pessimiste de Schopenhauer, qui offre une image très sombre d’un être humain amoral, dominé par des pulsions internes. 

Le Poète est semblable au prince des nuées
Qui hante la tempête et se rit de l’archer ;
Exilé sur le sol au milieu des huées,
Ses ailes de géant l’empêchent de marcher.

Charles Baudelaire, « L'Albatros », Les Fleurs du Mal, 1859

La malédiction qui pèse sur le poète réside alors non seulement dans sa singularité irréductible qui engendre une relation conflictuelle avec la société, mais aussi dans le sentiment malheureux du combat qui se joue en lui. Il vise en effet à s’élever vers l’idéal, notamment grâce à son art, mais reste soumis à la lourdeur de la matière et aux appétits du corps, indexés du côté du mal. Si l’on trouve cette vision déjà chez certains romantiques, elle se renforce après 1848 et se trouve alors exprimée de manière plus violente.

Trois incarnations du poète maudit fin-de-siècle : Verlaine, Rimbaud et Corbière

Dans les années 1860, de nombreux jeunes poètes radicalisent les audaces de Baudelaire, en particulier, en adoptant une attitude volontairement provocatrice, aussi bien dans leur vie que dans leur poésie. 

Tristan Corbière dans Les Poètes maudits
Tristan Corbière dans Les Poètes maudits |

Bibliothèque nationale de France

Portrait d'Arthur Rimbaud dans Les Poètes maudits
Portrait d'Arthur Rimbaud dans Les Poètes maudits |

Bibliothèque nationale de France

Le choix des sujets abordés dans leurs œuvres, le traitement du vers et le niveau de langue battent en brèche les conventions littéraires. C’est le cas en particulier de Tristan Corbière, Arthur Rimbaud, et Paul Verlaine, présents dans Les Poètes maudits (Verlaine y est nommé par l’anagramme de « Pauvre Lelian »). Ils ont connu en effet la marginalité sous la forme de la misère et de la précarité, de la maladie, voire de la mort précoce (Corbière). 

Paul Verlaine au café
Paul Verlaine au café |

Bibliothèque nationale de France

Leur vie est ponctuée de scandales, tandis que leurs poèmes choquent le public par leurs provocations de tous ordres. Même parmi leurs pairs, Corbière et Rimbaud n’ont bénéficié que d’une reconnaissance tardive, postérieure à sa mort, pour le premier, et à sa période d’activité créatrice, pour le second. Après ses recueils de jeunesse, Verlaine de son côté est resté à l’écart des milieux littéraires pendant de nombreuses années.

Si dans Les Poètes maudits l’auteur s’intéresse davantage, de son propre aveu, à la quête d’« absolu » des poètes, d’autres textes contemporains, comme le roman À rebours, de Huysmans (1884), mettent l’accent quant à eux sur l’esprit de révolte qui anime toute une partie des écrivains dans la seconde moitié du siècle. Ce faisant, ces réflexions ouvrent la voie au mythe qu’incarnent Rimbaud, Corbière et Verlaine de manière exemplaire, et que l’on a retenu par la suite.

Provenance

Cet article provient du site Les Essentiels de la littérature (2021).

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