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La poésie symboliste

L’œil, comme un ballon se dirige vers l’infini
L’œil, comme un ballon se dirige vers l’infini

Bibliothèque nationale de France

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Après la mort de Victor Hugo en 1885 et dans un temps de « crise de vers », selon la formule de Mallarmé, qui est aussi le temps d’une large crise des représentations, le mouvement symboliste place le symbole au centre de son projet poétique.

Stéphane Mallarmé et Auguste Renoir – reflets de Degas, Marie et Geneviève Mallarmé
Edgar Degas, Mallarmé et Renoir au miroir, 1895 |

Bibliothèque littéraire Jacques Doucet

Souvent présentés comme les précurseurs et chefs d’école du mouvement symboliste, Mallarmé et Verlaine s’en défendent pourtant. Au journaliste Jules Huret qui lui demande ce qu’est le symbolisme, Verlaine répond avec un sourire : « Le symbolisme ?… Comprends pas… Ça doit être un mot allemand… hein ? Qu’est-ce que ça peut bien vouloir dire ? »

Et il est vrai que la définition même de la poésie symboliste paraît être aussi entourée du mystère qu’elle promeut esthétiquement. C’est la jeune génération poétique (Jean Moréas, Gustave Kahn, René Ghil, Henri de Régnier, Francis Vielé-Griffin, Charles Morice) qui gravite autour de ces maîtres proclamés malgré eux, qui s’essaie à fixer une théorie du symbolisme dont Jean Moréas publie le « Manifeste littéraire » en septembre 1886.

Le Manifeste du symbolisme

Jean Moréas, Manifeste du Symbolisme, 18 septembre 1886
Ennemie de l’enseignement, de la déclamation, de la fausse sensibilité, de la description objective,...
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Étymologiquement, le symbolon désigne en grec un morceau de poterie coupé en deux servant de signe de reconnaissance une fois les moitiés assemblées. La poésie symboliste invite ainsi à associer images et idées mais aussi à rechercher les symboles et signes qui dévoilent les beautés et mystères du monde. Au lecteur désormais de poursuivre le déchiffrement de ses indices et de s’affronter à l’obscurité des mots comme signes.

Il doit y avoir toujours énigme en poésie, et c’est le but de la littérature, – il n’y en a pas d’autres – d’évoquer les objets.

Mallarmé à Jules Huret, Enquête sur l’évolution littéraire

La suggestion comme mot d’ordre poétique

En réaction contre la poésie du Parnasse et contre le naturalisme, la poésie symboliste met en avant l’Idée et fait de la suggestion son nouveau mot d’ordre poétique.
Dans l’héritage des correspondances baudelairiennes, il s’agit désormais non plus de décrire le réel mais de le « suggérer ».

Nommer un objet, c’est supprimer les trois quart de la jouissance faite du bonheur de deviner peu à peu ; le suggérer voilà le rêve. C’est le parfait usage de ce mystère qui constitue le symbole : évoquer petit à petit un objet pour montrer un état d’âme, ou, inversement, choisir un objet et en dégager un état d’âme, par une série de déchiffrements.

Mallarmé

Verlaine dans Fêtes galantes et Romances sans paroles dispose ses paysages-état d’âme, Mallarmé s’emploie à « peindre non la chose mais l’effet qu’elle produit ». La poésie de Verlaine par son apparente simplicité et ses tonalités élégiaques paraît pourtant s’opposer à celle de Mallarmé plus hermétique, traversée d’images de pureté et d’ellipses, mais les deux poètes s’emploient à exprimer impressions et sensations, à figurer l’absolu et explorer le monde des Idées. La poésie symboliste hérite d’eux le goût de la nuance, du fugitif, du vague et du mystère, mais aussi une nouvelle conscience du langage et de ses pouvoirs.

« De la musique avant toute chose »

Mallarmé et Verlaine accordent également la première place à la musique. 

De la musique avant toute chose
Et pour cela préfère l’Impair
Plus vague et plus soluble dans l’air […]
De la musique encore et toujours !

Verlaine, Art poétique

Admirateur ambigu de Richard Wagner, Mallarmé invite la poésie à « reprendre à la musique son bien ». 

Afin de renouveler le lien de la poésie à la musique, Verlaine multiplie les audaces des vers impairs ; Mallarmé, qui, préfère poursuivre en vers réguliers innove, lui, par des jeux typographiques (Un coup de dés jamais n’abolira le hasard). 

Un coup de dés jamais n’abolira le hasard
Stéphane Mallarmé, Un coup de dés jamais n'abolira le hasard |

© Bibliothèque nationale de France

À leur suite, autour de 1886, René Ghil publie un Traité du verbe qui entend créer une théorie de l’instrumentation verbale, et que Mallarmé préface. La même année le jeune Jean Moréas publie son « Manifeste du symbolisme » avec Gustave Kahn et ce dernier revendique la paternité disputée du nouveau vers libre. La remise au cause et la libération de l’alexandrin, ouverte par Hugo, trouve son point d’aboutissement dans l’éclatement de toute régularité du vers et de la rime, qui vaudra aussi aux vers libristes l’accusation d’anarchisme.

Dans Variété, Paul Valéry, fidèle de Mallarmé, donne peut-être la meilleure définition de la poésie symboliste en prolongeant son mystère : « Le seul nom de Symbolisme est déjà une énigme » et tous tentent d’en « préciser la mystérieuse résonnance » : ce sont précisément ce mystère et ces jeux de suggestions qui fondent la nouveauté de la poésie symboliste qui ne parvient jamais à trouver une théorie unifiée mais qui ouvre aussi aux renouveaux romanesques du monologue intérieur (Édouard Dujardin) et du théâtre symbolistes (Maeterlinck).

Provenance

Cet article provient du site Les Essentiels de la littérature (2021).

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