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La Peau de chagrin

Honoré de Balzac, 1831
Le talisman
Le talisman

Bibliothèque nationale de France

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Première œuvre qui fait reconnaître le génie de Balzac, alors âgé de 32 ans, La Peau de chagrin constitue la pièce maîtresse des « Études philosophiques », seconde partie de la Comédie humaine.

Un roman entre réalisme et fantastique

Octobre 1830. L'automne d'après la Révolution. Raphaël de Valentin s'apprête à se suicider après avoir perdu au jeu son dernier Napoléon quand il entre dans la boutique fabuleuse d'un antiquaire, lequel lui offre un mystérieux talisman : une peau qui réalise tous ses vœux mais dont le rétrécissement mesure désormais sa vie.

Si tu me possèdes, tu posséderas tout, mais ta vie m’appartiendra. Dieu l’a voulu ainsi.

Balzac, La Peau de chagrin

Elle lui procure successivement un festin chez le banquier Taillefer, l'énorme héritage d'un oncle disparu et l'amour de Pauline, sa jeune voisine des temps impécunieux. 

Raphaël examine l'inscription de la peau de chagrin
Raphaël examine l'inscription de la peau de chagrin |

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La mort de Raphaël
La mort de Raphaël |

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Mais celui qui avait été un adolescent ardent et frustré, un jeune homme passionné par l'étude puis victime de la russe Foedora, « femme sans cœur », n'est plus qu'un précoce vieillard, dévoré par la maladie. Ni la consultation des autorités savantes, ni des séjours aux eaux à Aix puis au cœur de l'Auvergne ne peuvent sauver Raphaël qui meurt sur le sein de Pauline, foudroyé par un ultime désir.

Mêlant conte philosophique, fantastique et observation aiguë de la société parisienne des années 1830, La Peau de chagrin combine de manière originale réel et imaginaire. Elle pose des thèmes récurrents dans l’œuvre de Balzac : la lutte entre fatalité et volonté, la force du sentiment amoureux, l’opposition entre richesse matérielle et misère morale. Dans la lignée du Faust de Goethe et du fantastique d’un E. T. A. Hoffmann, elle annonce d’autres romans et nouvelles où Balzac explore un réalisme teinté de fantastique, tels que La Recherche de l’Absolu, Louis Lambert ou, dans une autre veine, Le Chef-d’œuvre inconnu.

L'aventure éditoriale

Même si le manuscrit a disparu, on connaît assez bien l'histoire d'un texte qui fut en août 1831 le premier succès romanesque signé « de Balzac ». La première mention du titre est fictionnelle. Le 9 décembre 1830, dans un texte intitulé « Caricatures et croquis. Les Litanies romantiques » paru dans La Caricature, un narrateur qui signe Alfred de Coudreux évoque son « célèbre conte fantastique intitulé La Peau de chagrin ». Dans le même journal  Balzac récidive le 16 et donne, sous le pseudonyme Henri B... un « Croquis » intitulé « Le Dernier Napoléon », ébauche de la première scène de La Peau.

La composition suit de près la rédaction, discontinue, du début février à fin juillet. Il y eut au moins deux jeux d'épreuves dont nous n'avons conservé que le second, portant les bons à tirer et assez peu corrigé.

Accompagnée de lectures publicitaires dans les salons, la campagne de presse démarre avec une première mention dans Le Voleur du 31 janvier, et surtout deux extraits prépubliés : dans La Revue des Deux Mondes du 15 mai 1831, « Une débauche » (reproduit en juin dans Le Cabinet de lecture et Le Voleur) et, dans La Revue de Paris du 29 mai, « Le suicide d'un poète » (reproduit en juin dans Le Cabinet de lecture).

La Peau de chagrin
La Peau de chagrin |

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Édition illustrée de La Peau de chagrin
Édition illustrée de La Peau de chagrin |

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L’œuvre connaît ensuite sept éditions du vivant de Balzac, témoignant de son succès immédiat dans un moment où romantisme et fantastique dominent la scène artistique.

La réception

Bien que son accueil critique soit contrasté, le succès public de La Peau de chagrin à sa sortie est indéniable : trois éditions et 4500 exemplaires vendus au 1er juin 1832 selon l'« Avis du Libraire-éditeur sur les Contes philosophiques », ou plus modestement  trois éditions et 4000 exemplaires en décembre 1834 selon la « Note de l'éditeur pour l'édition [Werdet] des Études philosophiques ». Succès préparé de longue date par le journaliste-polygraphe qu'est alors Balzac. Il alla jusqu'à rédiger lui-même un compte rendu dans La Caricature du 11 août 1831 sous le pseudonyme de Le Comte Alexandre de B.1 C'est l'œuvre à la mode. Il faut en parler. Les supporters (Philarète Chasles, Jules Janin dans L'Artiste, Latouche dans Le Figaro, le chroniqueur du Globe) y voient le roman de la modernité.

Affiche pour la comédie lyrique La Peau de chagrin
Affiche pour la comédie lyrique La Peau de chagrin |

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Depuis, la critique balzacienne a relativement peu étudié La Peau à l'exception des histoires de l'œuvre, des travaux de Bernard Guyon et de ceux de Pierre Barbéris sur le mal du siècle, comme si son caractère hétérogène et son succès trop immédiat freinait son classement et son emploi. Roman trop daté, trop peu réaliste mais sans être absolument fantastique... En 1972, Pierre Barbéris donne pour la première fois, dans Le Livre de poche, le texte de Gosselin, édition novatrice malheureusement épuisée. Il faudra attendre l'occasion d'un programme d'agrégation en 1979 pour que deux recueils d'articles viennent enrichir l'interprétation :  Balzac et « La Peau de chagrin », ouvrage collectif présenté par Claude Duchet, et Nouvelles lectures de « La Peau de chagrin »2. « L'effet Peau »3 n'a pas cessé depuis cette date et la production critique est devenue régulière.

La Peau de chagrin a également fait l’objet d’une dizaine d’adaptations filmographiques, pour le cinéma et la télévision, dont la plus ancienne remonte à 1909, par Michel Carré. Plusieurs adaptations musicales en ont également été tirées, témoignant de la popularité de l’œuvre dont le titre est même passé dans le langage courant.

Raphaël tient la peau de chagrin dans la boutique de l'antiquaire
La Peau de chagrin drame de Louis Judicis, 1851 |

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Notes

  1. Pierre Barbéris « L'accueil de la critique aux premières grandes oeuvres de Balzac », L’Année balzacienne, janvier 1968, p. 165-195.
  2. Centre de recherches révolutionnaires et romantiques, Faculté des Lettres, Clermont-Ferrand
  3. Françoise Gaillard, « L'effet Peau de chagrin », dans Le Roman de Balzac : recherches critiques, méthodes, lectures, Études réunies par Roland Le Huenen et Paul Perron, Montréal, Didier, 1980, p. 213-230.

Provenance

Cet article provient du site Les Essentiels de la littérature (2017).

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