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Le roman balzacien

Louis Lambert
Louis Lambert

Bibliothèque nationale de France

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Le roman tel que Balzac le redéfinit offre des traits facilement repérables : ambition historique affichée, importance des préparations et des descriptions avant d’en arriver au « drame », insistance sur le déterminisme des lieux et des temps. Mais ces traits récurrents ne doivent pas masquer sa constante créativité.

Les constantes

Caractériser les personnages

Avant même qu’on ne les voie agir, les personnages des romans de Balzac sont décryptés, selon une grille physio-psychologique, qui insiste sur leur apparence physique, et en déduit leurs traits de caractère, en faisant confiance à la physiognomonie, une théorie qui lie les traits physique à la personnalité.

Mais comment rendre intéressant le drame à trois ou quatre mille personnages que présente une Société ?

Balzac, Avant-propos à la Comédie humaine

Ces personnages sont reliés à des types psychologiques (l’avare, l’ambitieux, la coquette, etc.), mais l’historien des mœurs que se veut Balzac s’attache à les caractériser aussi par leur inscription sociale, selon une typologie à laquelle ont recours aussi, à la même époque, les Physiologies et la « littérature panoramique » de Walter Benjamin. 

Le Bal de Sceaux
Émilie de Fontaine, jeune artistocrate du Bal de Sceaux |

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Le Cousin Pons et Schmucke
Le cousin Pons et Schmucke, artistes désargentés et cousins pauvres du Cousin Pons |

Bibliothèque nationale de France

Côté hommes, on a ainsi l’épicier, le notaire, le médecin, l’employé, le ministre, le diplomate, etc., de même que, côté femmes, on a la grande dame, la femme comme il faut, la femme de province, la femme supérieure, la lorette, la courtisane, la portière, etc.

Une œuvre inscrite dans le temps

Les Contes drolatiques
Les Contes drolatiques |

Bibliothèque nationale de France

Leur époque de rattachement importe aussi beaucoup, tant dans le cas du cousin Pons, homme-Empire fossilisé, avec son spencer d’un autre âge, que dans le cas de Lucien Chardon, dont le destin, sous la Restauration, dépend d’une ordonnance royale qui l’anoblirait. 

Dans cette fresque d’histoire contemporaine qu’offre La Comédie humaine, l’Empire (Le Colonel Chabert, Adieu…), la Restauration (Le Lys dans la vallée, Illusions perdues…) et la monarchie de Juillet (La Peau de chagrin, La Cousine Bette), soit donc les trois grandes époques que Balzac a lui-même vécues, sont l’objet central de l’historien des mœurs. 

Quelques rares récits situés à des époques antérieures (Les Proscrits, Sur Catherine de Médicis, Sarrasine…), complètent la perspective historique d’ensemble, souvent rappelée, à laquelle collaborent aussi dans un autre registre, les Contes drolatiques, situés dans un Moyen Âge tardif, et écrits dans un vieux français fantaisiste.

Des constructions récurrentes

Sur le plan formel, le roman balzacien présente, là aussi, des traits constants. L’action ne s’y lance qu’après un long moment introductif, mais lorsqu’elle est lancée, elle est très vive, construite sous forme de « scènes », de forte intensité dramatique. Le narrateur y est hyperprésent, et double le récit d’une constante escorte interprétative (le « code herméneutique », disait Roland Barthes), avec laquelle Flaubert tiendra à rompre. 

Il pensa tout à coup que la possession du pouvoir, quelque immense qu'il put être, ne donne pas la science de s'en servir.

Balzac, La Peau de chagrin, 1831

Balzac penseur, Balzac idéologue, est un auteur particulièrement intrusif, jusqu’au didactisme. Mais c’est à cette condition qu’il cherche à faire du roman, non plus une simple narration, mais un dispositif analytique tous azimuts.

Le roman dans tous ses états

Malgré ces constantes formelles, grande est la variété des créations romanesques balzaciennes. Il y a chez Balzac un enthousiasme de pionnier, heureux de décliner en tous sens les potentialités du genre qu’il a choisi de renouveler de fond en comble. De là, des récits très différents, tant en termes de longueur (cela va de la brève nouvelle au roman-cycle en plusieurs parties) qu’en termes de sous-genres romanesques.

Le hasard est le plus grand romancier du monde : pour être fécond, il n’y a qu’à l’étudier.

Balzac, Avant-propos à la Comédie humaine

Le réalisme chez Balzac n’étant pas encore constitué en doctrine contraignante, et n’ayant pas encore à sa disposition un tel étendard lexical, plusieurs récits échappent à ce cadre, mêlant réalisme et fantastique (La Peau de Chagrin, Melmoth réconcilié) ou réalisme et fantaisie (Un prince de la Bohème, Les Comédiens sans le savoir). C’est le cas en particulier des Études philosophiques qui, en dehors des monuments que sont La Peau de chagrin, Louis Lambert et La Recherche de l’absolu, recueillent des contes écrits dans les années 1830-1832 sous l’influence de la mode hoffmannienne : contes mi-fantastiques, mi-fantaisistes pour certains, « contes d’artistes » pour d’autres (Le Chef-d’œuvre inconnu, Sarrasine, Gambara, Massimila Doni).

La Peau de chagrin
La Peau de chagrin |

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Le Lys dans la Vallée
Le Lys dans la Vallée |

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Si la forme la plus courante est bien celle du roman de mœurs écrit à la troisième personne, Balzac marque un intérêt constant pour le sous-genre du roman d’apprentissage (Le Père Goriot, Illusions perdues, Le Cabinet des antiques, Un début dans la vie). Mais il sait aussi mobiliser les ressources du roman par lettres (Mémoires de deux jeunes mariées, Modeste Mignon), du roman personnel (Louis Lambert, Albert Savarus), du roman historique (Les Chouans). D’autres romans tendent vers l’utopie (Le Médecin de campagne, Le Curé de village, L’Envers de l’histoire contemporaine). D’autres, prennent la forme de romans policiers avant la lettre (Une ténébreuse affaire, Splendeurs et misères des courtisanes).

La Fille aux yeux d'or
La Fille aux yeux d'or |

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À côté de romans très visuels où il lutte avec la peinture (La Maison du chat qui pelote, Béatrix) Balzac compose aussi des sortes de romans-conversation : La Maison Nucingen (1838), Un homme d’affaires (1846) et Les Comédiens sans le savoir (1846), groupés autour du mystificateur Bixiou, double romanesque du dessinateur et dramaturge Henry Monnier. Enfin, la stéréoscopie romanesque se complète par la stéréoscopie sociale : autant de « mondes » traversés, autant de manières de moduler le récit. Cela en raison d’une sorte de caméléonisme esthétique, dont l’ouverture de La Fille aux yeux d’or donne la clé, avec son évocation dantesque des divers cercles de la société parisienne.

L'âme de Paris

Honoré de Balzac, La Fille aux yeux d'or, 1835
Un des spectacles où se rencontre le plus d’épouvantement est certes l’aspect général de la population...
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Provenance

Cet article provient du site Les Essentiels de la littérature (2017).

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