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Balzac ou la boulimie de l'écriture

Honoré de Balzac
Honoré de Balzac

Bibliothèque nationale de France

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Considéré comme le père du roman moderne,  Balzac a dédié sa vie à toutes les formes d’écritures. Après des débuts mouvementés, il s’impose comme romancier, mais explore aussi de nombreuses autres voies : journaliste, auteur dramatique, et même… homme politique !

Balzac romancier

Devenir Balzac

Annette et le criminel
Annette et le criminel |

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Ce n’est pas par le roman de mœurs que le jeune Honoré a commencé. Il n’y vient qu’après avoir renoncé à entrer en littérature par ce qui était alors l’une des grandes portes, la tragédie politique (Cromwell, 1819). Ses débuts – amers – se font, entre 1821 et 1825, dans le roman alimentaire pour cabinet de lecture en quatre volumes in-douze, écrit sous pseudonyme (Lord R’Hoone, Horace de Saint-Aubin). « Quelle chute ! » se lamente le jeune auteur déchu auprès de sa sœur Laure, quand il doit renoncer à séduire « mademoiselle la Gloire » par des formes plus canoniques.

Après vingt volumes de « chaircuiterie littéraire », publiés sans succès (romans noirs, romans gais, romans d’aventures…), le jeune Honoré entreprend de s’enrichir en se faisant éditeur, « homme de lettres de plomb » (1826-1829). Ce n’est qu’après une faillite retentissante, et accablé d’une lourde dette qu’il trainera toute sa vie, qu’il se remet à écrire.

Nouvelle entrée en littérature à partir de 1829, donc, par plusieurs portes à la fois – et, cette fois-ci, sous son nom véritable, aussitôt déguisé par la particule qu’il adopte. Publiés en rafale, un roman historique (Le Dernier Chouan ou la Bretagne en 1799), une Physiologie du mariage, de brèves Scènes de la vie privée, puis des « contes philosophiques » d’abord publiés dans les journaux et revues auxquels il collabore, témoignent de sa vitalité créatrice comme de son désir d’investir la littérature par tous les bouts. Pari vite réussi.

Physiologie du mariage
Physiologie du mariage |

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La Peau de chagrin
La Peau de chagrin |

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La Peau de chagrin (1831), où réalisme et fantastique urbain se combinent, dans un récit construit autour d’un pacte faustien, marque sa première consécration. De quoi encourager Balzac à mener jusqu’à sa mort cette vie de galérien littéraire qui sera désormais la sienne.

Vers La Comédie humaine

Portrait d’Ewelina Rzewuska Hańska
Portrait d’Ewelina Rzewuska Hańska |

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Balzac renonce alors à un projet de jeunesse : une Histoire de France pittoresque à la Walter Scott, qui aurait couvert l’histoire de France, en consacrant un roman à chaque règne. Il conçoit une œuvre cyclique, divisée en trois grands ensembles : Études de mœurs au XIXe siècle, Études philosophiques, Études analytiques, qu’il programme en octobre 1834 dans une lettre à sa maîtresse et confidente, Mme Hanska. Le mot commun à ces trois titres martèle une ambition scientifique. À leur tour, les Études de mœurs se divisent en Scènes de la vie privée, Scènes de la vie parisienne, Scènes de la vie province, Scènes de la vie de campagne, Scènes de la vie politique. Cette dernière section restera défective, tout comme les Études analytiques.

Avec Le Curé de Tours (1832) puis Eugénie Grandet (1833) qui se passe à Saumur et met en scène une famille de vignerons enrichis, Balzac commence une exploration systématique de la province, que continuent entre autres La Vieille Fille (Alençon), Albert Savarus (Besançon), La Rabouilleuse (Issoudun), La Muse du département (Sancerre).

Le Colonel Chabert et Le Bal de Sceaux
Le Colonel Chabert et Le Bal de Sceaux |

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Gobseck ; Le Bal de Sceaux (suite et fin) ; Pierre Grassou ; Le Message
Gobseck ; Le Bal de Sceaux (suite et fin) ; Pierre Grassou ; Le Message |

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Le Père Goriot (1835), au contraire, est un roman parisien mais aussi roman d’apprentissage dont le héros, Eugène de Rastignac, est un jeune provincial monté à Paris pour y faire des études de droit. Balzac se spécialise dès lors dans le roman urbain – que déjà Gobseck (1830-1832) et Ferragus (1833) exploraient – et il invente le retour des personnages. Désormais, l’« effet-monde » de La Comédie humaine se met en place. Le personnel romanesque va migrer de roman en roman : on recroisera ainsi le héros ou l’héroïne de tel récit, à titre de personnage secondaire ou de figurant dans plusieurs autres. De quoi souder véritablement son monde, tout en lui donnant une dimension stéréoscopique.

Vautrin
Vautrin dans Le Père Goriot |

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Entre 1837 et 1847, deux romans-sommes, Illusions perdues et Splendeurs et misères des courtisanes, accentuent cet effet d’« œuvre-monde », en complétant le « cycle Vautrin ». Ce personnage de tentateur, apparu dans Le Père Goriot, réapparaît sous les traits de l’abbé Carlos Herrera en tant que mauvais génie d’un jeune écrivain monté à Paris. Au centre de la trilogie, Illusions perdues, forme, dit Balzac, « l’œuvre capitale dans l’œuvre », et a entre autres fonctions celle d’articuler Paris et Province.

Mais de très grands romans sont encore publiés dans les dernières années de production : La Cousine Bette (1846) et Le Cousin Pons (1847), L’Envers de l’histoire contemporaine (1848), tandis que Les Paysans, Les Petits Bourgeois, Le Député d’Arcis restent inachevés.

Madame Marneffe et Lisbeth
La Cousine Bette |

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Le Cousin Pons et Schmucke
Le Cousin Pons |

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« Représenter l’ensemble de la littérature par l’ensemble de mes œuvres »

Même si son œuvre romanesque est colossale, Balzac ne s’est pas contenté du roman. Restant dans l’esprit philosophique du siècle précédent, il garde de la « littérature » la définition large qui était celle qui avait cours au début du siècle chez une Madame de Staël, en l’élargissant encore. De là une activité littéraire boulimique, méprisant allègrement les barrières des genres.

Journaliste

Balzac face à la presse
Balzac face à la presse |

CC0 Paris Musées / Maison de Balzac

D’abord, le journal, « argus moderne », dit Balzac, –  e qui, par contagion, donne au roman balzacien toute sa force d’actualité. Au tout début des années 1830, il collabore de manière très suivie à des petits journaux (La Silhouette, Le Voleur, La Mode, etc.). Il y publie entre autres ces petits chefs-d’œuvre que sont le Traité de la vie élégante, sorte de manifeste du journal La Mode (1830), et les Lettres sur Paris (Le Voleur), qui évoquent la situation désenchantée des esprits après la révolution de Juillet (1831).

Mais son activité journalistique a pris trois autres formes : il a été directeur de journal (la Chronique de Paris en 1836, la Revue parisienne en 1840) ; il a écrit un roman portant en partie sur le journalisme (Illusions perdues) ; il publie aussi en 1843 la Monographie de la presse parisienne. Il s’agit d’une sorte de traité sur le journalisme, considérée comme institution et comme mécanique d’écriture, mais aussi à travers ses divers emplois rédactionnels. Elle s’appuie sur un « Tableau synoptique de l’ordre gendelettre », divisé en deux secteurs : les critiques et les feuilletonistes.

Tableau synoptique de l’ordre gendelettre
Tableau synoptique de l’ordre gendelettre |

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Une « littérature panoramique »

Balzac collabore aussi à la « littérature panoramique », par divers portraits publiés dans le cadre des Français peints par eux-mêmes La femme comme il faut », « Le notaire », « Monographie du rentier », « La femme de province »), par des « physiologies » (Physiologie de l’employé, Physiologie du rentier à Paris, 1841), tout comme par sa participation à des recueils collectifs : La Grande Ville (1843) et le Diable à Paris (1845).

Avec, là aussi, osmose et transvasements, puisque les portraits publiés là sous une première forme, se trouvent réélaborés ensuite dans les romans. Ainsi par exemple dans La Muse du département, où c’est la « femme de province » elle-même qui joue à définir son propre type.

L’échec du théâtre

Entré en littérature par le théâtre, Balzac y revient en 1839, comptant ainsi multiplier ses gains, mais aussi explorer les virtualités d’un autre genre – qui s’avère pour lui bien moins malléable en raison de la réduction des moyens littéraires au seul dialogue.

Représentation de La Marâtre de Balzac au théâtre du Vaudeville
Représentation de La Marâtre de Balzac au théâtre du Vaudeville |

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Cela donne une suite d’échecs. L’École des ménages, est refusée en 1839 par le Théâtre de la Renaissance. Vautrin est interdit par le gouvernement en mars 1840 (entre autres parce que Frédérick Lemaître a souligné la ressemblance entre le personnage principal et Louis-Philippe). Balzac ne réussit pas à faire jouer Le Faiseur avant sa mort, et il doit abandonner le projet qu’il mûrissait à la fin de sa vie : transposer à la scène plusieurs de ses romans.

La critique littéraire et artistique

Balzac a aussi une activité suivie en tant que critique littéraire et artistique, traitant tout à la fois des Rayons et les Ombres de Hugo, des romans de Latouche, des nouvelles de Musset, tout comme des dessins de Gavarni. Mais il s’intéresse aussi, en sociologue de la littérature avant la lettre, aux mutations du champ littéraire, tout comme aux conditions économiques qui y ont cours. Cela le pousse à défendre les droits d’auteur (« Lettre adressée aux écrivains français du XIXe siècle », Code littéraire) et à présider un temps la naissante Société des gens de lettres (1839-1841).

Le candidat Balzac

Tout comme Chateaubriand, Lamartine ou Hugo, Balzac a eu ses velléités d’action politique. Elles donnent lieu, dans les années 1831-1832, à des brochures rédigées en vue d’appuyer une candidature à la députation à laquelle il doit renoncer faute de cens électoral et d’appui véritable : Du gouvernement moderne, Essai sur la situation du parti royaliste.

Après avoir été plutôt d’esprit libéral jusque-là, il donne alors des gages à la frange avancée des légitimistes, les « carlistes ». En 1834, au moment où il rêve de fonder un « parti des intelligentiels », son désir politique s’exprime en un propos sans détour à sa lointaine maîtresse russe, Mme Hanska : « Je veux le pouvoir en France et je l’aurai. »

On retrouve encore la politique à l’extrême fin de son parcours, quand, invité de manière un peu saugrenue à candidater, au lendemain de juin 1848, il se laisse faire… et n’obtient que 20 voix.

Cette dimension politique, déjà présente dans les Lettres sur Paris, le conduit à tenir la rubrique politique dans la Revue parisienne. On la retrouve aussi dans ses œuvres romanesques à dimension politique : Z. Marcas, dont le héros est un grand homme politique méconnu (1840), Albert Savarus (1842), Le Député d’Arcis (inachevé).

Provenance

Cet article provient du site Les Essentiels de la littérature (2017).

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