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Sigles et allographes

Sainte Agnès présentant le Christ en croix au duc de Valois
Sainte Agnès présentant le Christ en croix au duc de Valois

© Bibliothèque nationale de France

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Sigles, acronymes, allographes : quand quelques lettres en disent autant que beaucoup de mots

On appelle « sigle » les lettres d’un mot au moyen desquelles on représente ce mot en entier ou en partie. Cicéron appelait ce genre d’abréviations singulae litterae, appellation abrégée elle-même en sigla. Comme les sigles pouvaient souvent être interprétés de plusieurs manières, leur emploi a donné lieu à tant d’abus que l’empereur Justinien les a interdits par une loi. Ceux qui osaient s’en servir dans la transcription des lois de l’empire étaient assimilés aux faussaires.

Ce mot fait parfois place à celui, apparemment plus savant, d’ « acronyme », venu du grec par le détour de l’anglais, « groupe d’initiales abréviatives ». C’est le cas lorsque le mot se prononce comme un mot normal, sans épeler chaque lettre, dans Gestapo pour Geheimstaatspolizei, par exemple.

Le mot « sigle » se maintient dans la langue courante, lui-même abréviation, image de ce qu’il signifie. Le sigle est parent de l’apocope, procédé de formation d’un mot qui consiste à n’en prononcer que les premières syllabes, comme pour métro (pour « métropolitain » ), passé dans la langue écrite.

Au siècle dernier, le mot « sigle » ne s’appliquait qu’aux lettres initiales employées comme signes abréviatifs sur les médailles, les monuments ou les manuscrits anciens. Littré cite le plus célèbre : S. P.Q. R. : senatus populusque romanus. On trouve le sigle INRI dans toutes les représentations picturales du Christ en croix, abréviation de l’inscription ironique apposée par Ponce Pilate sur la croix : Iesus Nazarenus Rex Iudaeorum.

L’écriture par sigles a été en usage chez les Hébreux, les Grecs et les Romains. Si une lettre était multipliée, elle indiquait le nombre de personnes : A. A. A. signifiait trois Auguste ; le sigle renversé était féminin. Gabriel Peignot, au début du siècle dernier, signalait que le mot « sigle » était peu connu en français, et que l’écriture par sigles était peu usitée sauf pour quelques noms propres : ainsi KAPAI désignait les cinq patriarches grecs : de Constantinople, d’Alexandrie, de Russie (le P correspondant au R de l’alphabet latin), d’Antioche et de Jérusalem.

Parfois, la lettre initiale a la capacité de représenter tout le mot dont elle est le premier élément : on parle du jour J que les Américains appellent D day ; de l’heure H ; de même, dans certaines villes, la lettre P signifie parking, M, métro.

Dans un autre registre, les nazis et leurs valets contraignirent les juifs à se signaler au moyen d’une étoile jaune sur laquelle était imprimé - en bâtarde gothique - le J de juif. Autre marque d’infamie, la lettre initiale A pour adultère est l’emblème du beau roman de Nathaniel Hawthorne, La Lettre écarlate, sur les mœurs de la colonie puritaine de Salem au 18e siècle.

Si les sigles ont longtemps été réservés à un usage technique justifié par la place restreinte dévolue aux inscriptions, l’interdit de Justinien est joyeusement transgressé de nos jours et les sigles se sont multipliés à tel point et sont si obscurs qu’ils font l’objet d’un dictionnaire, véritable instrument de travail bilingue. La vie politique, syndicale et économique est truffée de sigles. Herbert Marcuse a vu dans la multiplication des sigles une des marques du langage d’une administration totale, de l’enfermement de l’homme dans un univers clos.

Par une opération inverse de celle qui préside à leur formation, ils donnent même naissance à des mots nouveaux qui se lexicalisent parfois au point de perdre leur capitale initiale : cégétiste, Rmiste ou érémiste, énarque, etc. C’est ainsi que, pour Queneau, les « achélèmes » désignent des « anthropothèques ».

Les sigles peuvent être aussi le point de départ d’une rêverie... Le sigle a donné naissance à toutes sortes d’inventions verbales et de jeux littéraires ; un de ces jeux consiste à déchiffrer le sigle de toutes les façons possibles, des plus sérieuses aux plus cocasses. Un autre est l’allographe alphabétique, consistant à transcrire un texte en lettres initiales.

Louise de Vilmorin, quant à elle, s’est amusée à écrire L’Alphabet des aveux :
G AC ZÉ FÉT : J’ai assez aidé et fêté
LÉ BZ DIR : Et les baisers d’hier
L RUL DT : Et les ruelles d’été

Provenance

Cet article provient du site L'aventure des écritures (2002)

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